Rencontre avec Rachida Dati, une femme et élue inspirante, députée européenne et Maire du 7ème arrondissement de Paris (ancienne Ministre).

Elueslocales.fr a rencontré Rachida Dati, députée européenne et Maire du 7ème arrondissement de Paris. Elle a été Ministre de la Justice et Garde des Sceaux du 18 mai 2007 au 23 juin 2009 et vice-présidente de LR du 15 janvier 2013 au 15 juin 2014.

Elueslocales.fr : Quel constat faites-vous sur la place des femmes en politique à l’heure actuelle ?

Rachida Dati : Le nombre de femmes en politique a progressé ces dernières années. Le mode de scrutins, notamment les scrutins de listes paritaires ont contribué à la féminisation de la politique. Mais, il y a encore beaucoup de progrès à faire, comme d’abord faire respecter la loi sur la parité de 2000 !

Elueslocales.fr : Votre position vis-à-vis des quotas a évolué. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi ?

RD : C’est un débat que j’avais eu avec Simone Veil à l’époque. Nous n’étions pas très favorables aux quotas de femmes, ou à une parité contrainte par la loi. Nous voulions mettre en garde contre un phénomène de « femmes gadgets » et de « remplissage » qui aurait pu se retourner contre les femmes. Mais, au fil des années, cet argument arrangeait les hommes et leurs investitures et on ne constatait aucune avancée. La loi permet de favoriser plus rapidement l’égalité réelle. Sans contraintes, pas d’avancées ! Et malgré ces contraintes, l’objectif n’est toujours pas atteint.

Elueslocales.fr : Selon vous, être une femme en politique est un avantage ou un inconvénient ? 

RD : Je ne pourrais pas dire de manière catégorique que c’est l’un ou l’autre. Personnellement, je n’ai jamais ressenti que le fait d’être une femme puisse être un avantage, ni un inconvénient. On est souvent encensée ou caricaturée, dans les deux cas pour de mauvaises raisons. Il faut donc être vigilant-e sur ce point.

Elueslocales.fr : Est-ce que l’instauration de la parité peut être « nuisible » ?

RD : Nuisible ? À quoi ? À qui ? Aux hommes qui refusent la parité, ou à ceux qui refusent de faire de la place ou de laisser leur place ? La parité obligatoire gêne celui qui ne veut pas lâcher son poste. On a longtemps pensé que les femmes étaient inaptes à exercer des fonctions de responsabilités liées au pouvoir. Mais faites un constat simple : les sphères très féminisées sont souvent des sphères sans réel pouvoir. Et l’inverse est vrai aussi !

Elueslocales.fr : Par quel moyen peut-on donner envie aux femmes de s’investir en politique ?

RD : Il faut d’une part que celles qui sont au pouvoir ne soient pas écœurées pour pouvoir encourager les autres, et que d’autre part elles n’aient pas peur de faciliter l’accès à la politique aux femmes. Donner des exemples est essentiel afin de susciter des vocations. Lorsqu’on voit l’absence de femmes dans certains secteurs, comment envisager qu’une jeune fille s’y projette ? Avec un modèle, cette jeune se dira « Pourquoi pas moi ! ». Mais il y a aussi la condition sociale et les conditions matérielles : souvent en politique, ce sont les plus favorisées, ou celles qui ont de réels moyens, qui s’engagent, les autres n’ayant souvent pas le temps ou pas de moyens pour militer, faire campagne et se faire connaitre.

Pour aller plus loin voir notre webinaire “femme en politique : ce qu’il faut savoir pour s’imposer” 

Elueslocales.fr : Comment expliquez-vous le fait que l’UMP compte beaucoup moins de femmes élues que les autres partis…?

RD : Tous les partis sont confrontés à la même problématique. Ce n’est pas propre à l’UMP. Être dans l’opposition doit nous encourager à respecter la loi sur la parité. Et c’est un appel que je lance au futur Président de notre famille politique. La perte de sièges à l’Assemblée nationale par exemple doit nous inciter au renouvellement. Il faut pour cela la conjonction de deux choses : ne pas humilier ceux qui n’ont pas démérité et qui laissent leur place, et permettre un renouvellement par les femmes.

Elueslocales.fr : Qui sont les plus difficiles à convaincre : les membres du parti ou bien les électeurs ?

RD : Je pense que la société française est plus en avance que les responsables politiques dans leur ouverture d’esprit. La société française a clairement un temps d’avance sur les « réseaux » et les partis politiques, droite et gauche confondus. Ce décalage est notamment dû au fait que certains veulent garder leur pré-carré. La plupart des départs en politique sont en réalité des « successions » préparées à l’avance à la faveur d’une personne bien déterminée. On entretient l’entre soi. Tout le monde n’a pas vocation à faire – et ne devrait pas faire d’ailleurs – 22 mandats ! Il faut donc préparer sa succession et ne pas s’accrocher à son fauteuil quoi qu’il arrive. A défaut de réduire le décalage, la féminisation des partis permettrait de renouveler le paysage politique et de se remettre en phase avec la société.

Elueslocales.fr : Vous avez prôné la suppression totale des financements pour les partis ne se mettant pas en conformité avec leur obligation légale de parité…

RD : Il y a des entreprises qui, lorsqu’elles ne respectent pas la loi, ne peuvent pas accéder aux marchés publics. Je ne vois pas pourquoi un parti politique se contenterait de payer l’amende avec l’argent des contribuables et des adhérents (qui sont aussi des femmes) sans autre conséquence. Quand j’ai proposé la suppression des financements pour les partis politiques illégaux, il est vrai que ça n’a pas beaucoup plu ni à droite ni à gauche ! Cette proposition a également été écartée par la commission Jospin au moyen d‘arguments techniques. Ce n’était pas faisable apparemment ! De toute façon, il y a toujours un « bon prétexte » pour écarter les femmes !

Elueslocales.fr : Vous a-t-on reproché de jouer contre votre camp en soutenant une telle proposition ?

RD : Bien sûr, c’est un argument tellement facile quand on veut soit écarter une proposition, soit écarter une personne. Que n’ai-je pas entendu pour « justifier » ce contournement de la loi !

Elueslocales.fr : Quelles ont été vos actions en faveur des femmes lorsque vous étiez Garde des Sceaux ?

RD : Pour la première fois à la Chancellerie, j’ai promu des femmes à des postes de directrices d’administrations centrales. C’était la première fois, et même perçue comme révolutionnaire en interne. J’ai été obligée de faire preuve d’autorité, pour ne pas dire plus, pour que des femmes soient systématiquement promues ou nommées comme « premier président », « procureur général », « directeurs d’administrations centrales » ou comme « chef de bureau ». Quand je suis arrivée, il y avait à peine 5% de femmes dans les postes à haute responsabilité de la magistrature. À mon départ, nous avions atteint les 25% et non sans difficultés.

Elueslocales.fr : Avez-vous déjà fait l’objet de propos déplacés dans le cadre de l’exercice de vos fonctions ?

RD : Evidemment ! Vous subissez plein de choses du fait de votre caractère, de votre tempérament ou encore de votre sexe. Moi je cumule beaucoup ! Est-ce qu’on va l’attribuer au fait que je sois une femme, qui plus est à fort caractère, qui ne lâche rien, je ne sais pas. Comme vous l’aurez remarqué, les propos – aussi inacceptables soient-ils – n’affectent en rien ma détermination.

Elueslocales.fr : Quel est votre moteur ?

RD : Ce qui me motive, c’est la passion d’agir, de faire tomber les préjugés, de ne jamais renoncer à aucun combat comme celui de la lutte contre les inégalités. La politique n’est pas un métier, mais un combat de tous les instants. Mais faire de la politique n’est clairement pas évident, ni facile. Il faut avoir les moyens de le faire, matériellement et psychologiquement. On n’a pas intérêt à être préoccupée par autre chose. Je connais des femmes qui ont pris des congés payés ou des congés sans soldes pour faire campagne. Il faudrait soit créer un véritable statut d’élu-e, soit que les partis aident plus franchement ceux qui n’en ont pas les moyens à faire campagne, à militer, à mener des actions dans l’intérêt général.

Elueslocales.fr : Quelles sont les qualités que vous estimez essentielles pour un-e responsable politique ?

RD : Avoir des convictions, avoir du tempérament et être indépendant du « système ». Il faut également, malheureusement pour certains, un peu de charisme ! Je ne fais pas référence à l’image, mais il faut incarner ce que l’on porte. Je crois dans ce que je dis, dans ce que je fais, avec fougue, passion, énergie et parfois avec excès je le reconnais.

Elueslocales.fr : Quel conseil donneriez-vous aux femmes qui hésitent à s’engager en politique ?

RD : Je me garderai bien de donner des conseils mais une chose est sûre, vous pouvez faire de la politique partout, pas seulement au sein d’un parti ou d’un gouvernement. Il faut intégrer que dans la politique, il y a aussi des échecs possibles. Il faut garder la foi, garder ses convictions et se battre. Savoir se préserver est aussi important.

Elueslocales.fr : Quel bilan faites-vous de votre parcours ?

RD : Je ne suis pas une nostalgique mais je suis fière d’avoir contribué concrètement à la lutte contre les violences faites aux femmes, à l’accès à l’excellence scolaire pour des enfants de condition sociale défavorisée, à l’insertion de jeunes sans diplômes ni expérience. Et ces combats continuent. Je continue à soutenir et aider des femmes, des jeunes, des personnes âgées en difficultés. Je le fais avec passion et avec ténacité ! J’espère à titre personnel avoir fait avancer les choses pour les femmes, en étant Garde des sceaux et porte-parole de Nicolas Sarkozy. J’ai fait des réformes difficiles que d’autres personnes, et notamment des hommes n’avaient pas réussi à mettre en place. J’ai sans doute aussi, contribué à oxygéner cette vie politique, ne serait-ce que par ma condition sociale d’origine. Cela donne une autre image de la classe politique qui doit ressembler à la France telle qu’elle est aujourd’hui.

Elueslocales.fr : Merci pour ces réponses !