Rencontre avec Élisabeth Guigou, est une élue, ancienne Ministre et première femme Présidente de la Commission des Affaires Etrangères.

Elueslocales.fr a rencontré Élisabeth Guigou, ancienne Ministre, Députée, et première femme Présidente de la Commission des Affaires Etrangères de l’Assemblée Nationale . Elle revient sur son parcours de femme politique.

Elueslocales.fr : Quel est l’origine de votre engagement et de vos ambitions politiques ?

J’étais enfant au Maroc pendant la guerre d’Algérie. Je me suis structurée contre la colonisation. Au départ, je voulais être diplomate. Je me suis donc renseignée sur ce qu’il fallait faire pour devenir diplomate en France (Sciences po, ENA). Après mon bac, j’avais 17 ans et mes parents ne voulaient pas me laisser partir. J’ai donc fait d’autres choses en attendant de pouvoir faire ce dont j’avais envie.

Elueslocales.fr : Vous avez de nombreuses fois été la « première femme » durant votre parcours – à la Direction du Trésor, Garde des Sceaux, Présidente de la Commission des affaires étrangères. Comment l’avez-vous vécu ?

Au cours de mes études, je n’ai ressenti que deux fois cette discrimination.

Si j’avais été un garçon, mes parents m’auraient laissée partir sans problème. Mais cela n’a fait que renforcer ma détermination. Pour préparer l’ENA, j’ai voulu intégrer une préparation à laquelle je n’ai pas été acceptée. J’ai su par la suite que le fait d’être de province, à un concours où réussissaient des enfants de la bourgeoisie parisienne, et aussi une femme, fille d’agriculteurs de surcroît, a joué en ma défaveur et n’a pas incité les jurys à m’accepter. Ils s’en sont mordus les doigts par la suite et se sont excusés pendant des années.

Au cours de ma carrière professionnelle, j’ai très peu ressenti de discrimination, notamment dans l’administration, qui avait à cœur d’ouvrir ses grandes directions aux femmes. Je suis arrivée à la Direction du Trésor à un moment où l’on voulait montrer que l’on était ouvert aux femmes. Être une femme pouvait parfois être un avantage dans un milieu très masculin, à condition d’être qualifiée, évidemment. Cette visibilité peut parfois être un atout. Je l’ai encore moins ressenti avec Jacques Delors, parfois paternaliste, et à l’Élysée, où François Mitterrand avait une politique délibérée d’égalité. Sur trois candidats, il voulait toujours une femme et un non énarque.

En revanche, j’ai senti une nette différence quand je me suis présentée à des élections. Le machisme dans les années 90 était une horreur. Le machisme de la part des adversaires politiques évidemment, mais aussi des électeurs dans une circonscription assez favorable au vote FN, des calomnies anonymes, etc. C’était très difficile, mais les choses se sont beaucoup apaisées. La violence s’est déplacée sur d’autres terrains. En témoignent les attaques racistes dont Christiane Taubira a fait l’objet, notamment parce qu’elle est une femme.

Elueslocales.fr : Comment avez-vous surmonté les attaques et les difficultés que vous avez pu rencontrer dans votre ascension politique ?

J’ai d’abord bénéficié de la solidarité de mes proches, ce qui est très important, et ils n’ont été que modérément atteints. J’ai ensuite décidé d’en parler, de le dire dans les meetings. J’ai tout de suite fait l’objet d’une solidarité féminine, qui a entraîné celle des militants masculins. Ce seul fait d’en faire un objet de parole et de dénonciation est devenu un réconfort même si les attaques n’ont pas cessé immédiatement. Il faut que des paroles fortes soient dites sur des actes inadmissibles, et Christiane Taubira fait bien de réagir comme elle le fait.

Quand j’étais dans le gouvernement de Lionel Jospin, nous avons porté la réforme constitutionnelle sur la parité dans les élections en France. Nous avons mené un combat politique et philosophique en nous attaquant aux grands totems de la révolution française que sont la prétendue neutralité et l’universalisme républicain. Pour bousculer le protocole, Lionel Jospin a voulu que deux femmes (Martine Aubry et moi) soient numéros 2 et 3 de son Gouvernement. Cela a contribué à ce que le climat politique se calme vis-à-vis des femmes. Nous étions sept femmes au gouvernement et avions décidé que si l’une de nous était attaquée à l’Assemblée, nous partirions ensemble solidairement. Nous avions aussi manifesté notre solidarité avec les « jupettes »,  même si nous n’étions pas du même bord.

Pour aller plus loin voir notre webinaire sur “femme en politique : ce qu’il faut savoir pour s’imposer”.

Elueslocales.fr : Comment dépasser le cas de figure de la femme-symbole ?

Il faut des femmes partout, c’est la philosophie de la parité. Il faut autant de femmes que d’hommes, mais pas plus pour que la politique ressemble à la société française. Parfois le déséquilibre est flagrant. La proportion de femmes, de jeunes augmente, et nous avons besoin des deux. Plus vous aurez de femmes en situation de responsabilités dans tous les métiers, plus cela favorisera une harmonie entre les femmes et les hommes.

Elueslocales.fr : Vous aviez placé votre candidature à la présidence de l’Assemblée nationale sous le signe de l’affirmation de la parité et du volontarisme. Ce volontarisme fait-il défaut au milieu politique pour atteindre la parité ?

Oui c’est évident, beaucoup de postes sont monopolisés par les hommes. Il y a le poids de l’histoire et des positions acquises. François Hollande est totalement acquis à cette cause, mais les logiques de pouvoir font que c’est plus difficile pour les femmes d’atteindre certains postes stratégiques. Je trouvais qu’il était symboliquement important qu’il y ait des candidatures féminines, même si la mienne fut tardive.

Elueslocales.fr : Les femmes et les hommes jouent-ils à armes égales en politique ? 

C’est de plus en plus le cas. La conduite et la gestion d’un ministère n’a jamais posé problème. L’administration, le service public, ont l’habitude de mettre en œuvre la philosophie d’égalité. Le problème réside dans les activités électorales où les passions et la vulgarité parfois se déchainent.

Elueslocales.fr : Que faire lorsque la contrainte légale ne suffit plus ?

La loi ne suffit jamais, il faut que la société se mobilise si l’on veut combattre les stéréotypes et les préjugés. Beaucoup de choses ne sont pas acquises, notamment dans l’égalité de rémunération. Être une femme ou un homme n’est pas équivalent, et cette différence est positive. Il ne faut pas pour autant cantonner les femmes dans un rôle particulier. La question du partage du travail domestique reste ouverte. La prise en charge de la responsabilité familiale et des enfants repose encore trop sur les femmes dans les jeunes générations. Ce ne sont pas des lois qui peuvent changer ces choses.

Elueslocales.fr : Comment créer des vocations politiques ?

Il faudrait que les partis politiques en fassent un engagement et que l’on facilite l’engagement militant pour les femmes. Elles ont déjà deux journées en une seule, professionnelle et familiale, et la politique en rajoute une troisième !
Dans les partis politiques, qui sont dominés par les hommes, on adore s’écouter parler. Il faudrait que les militants organisent un système de garde d’enfants, pour faire tomber les barrières mentales. Les femmes se demandent souvent si elles vont être capables d’assumer les responsabilités qui leur sont proposées. Rares sont les hommes qui se posent cette question. Il reste donc cette dimension éducative à faire auprès des femmes. Cela passe par les parents,qui doivent dès l’enfance dire aux filles et aux garçons qu’ils ont les mêmes possibilités. Ce fut mon cas, j’ai eu cette chance.

Elueslocales.fr : Quel a été votre meilleur atout pour évoluer en politique ?

Il n’y en a pas d’autre que la réussite dans le travail. Après j’ai eu beaucoup de chance. La chance se construit bien sûr, par exemple en étant très exigeant dans le travail.

Elueslocales.fr : Quel conseil donneriez-vous aux femmes qui vont se confronter aux électeurs ?

Tout d’abord, il faut qu’elles maîtrisent elles-même leur agenda, c’est la condition de l’équilibre. Ensuite, on ne peut pas être en campagne 24h sur 24. Il faut résister à la pression, s’organiser des plages de recul, dire à l’entourage qu’elles vont avoir besoin de leur aide et de leur soutien. Il ne faut pas compter que sur soi-même. Enfin, rechercher le soutien collectif permet de surmonter certaines difficultés car faire campagne est très difficile physiquement et émotionnellement.

Elueslocales.fr : Merci Madame la Ministre pour ce témoignage inspirant !