Une marche exploratoire est comme une grande enquête de terrain permettant aux élus locaux de connaître les attentes de leurs administrés

Depuis quelques temps, les initiatives sur les marches exploratoires se sont multipliées. Cette méthode qui se présente comme une grande enquête de terrain permet aux femmes de se réapproprier leur territoire du quotidien tout en permettant aux élus locaux de connaître les attentes d’une grande partie de leurs administrés. Il s’inscrit aussi dans l’air du temps alors que le débat sur la condition des femmes en milieu urbain fait régulièrement l’objet d’études et de polémiques. Mais comment et pourquoi se lancer dans un tel projet ? Élues Locales vous propose 5 conseils pour organiser et réussir une marche exploratoire !

Bien connaître et maîtriser son sujet :

Initiées au Canada dans les années 90, les marches exploratoires apparaissent au début des années 2000 en France dans les villes de Lille et Arcueil. Depuis, la méthode a convaincu de nombreuses communes qui ont tenté l’expérience. Le principe est simple mais l’enjeu est de taille : un groupe de femmes suit un parcours établi, représentant souvent un trajet du quotidien, et doit relever tout ce qui a trait à l’insécurité. Le groupe doit être constitué d’une dizaine de femmes maximum, représentatives de plusieurs générations afin d’analyser et de diagnostiquer les problématiques selon les besoins de chacun. Pourquoi exclusivement des femmes ? Pour plusieurs raisons majeures : ce sont elles qui sont le plus souvent victimes d’actes de délinquance traumatisants (vols à l’arrachée, harcèlements, agressions sexuelles, etc.). Face à cela, elles adoptent des stratégies de contournement, d’évitement et une plus grande vigilance. Ainsi, le guide méthodologique des marches exploratoires, publié par le Comité interministériels des Villes (CIV) en concluent que « les femmes sont les mieux placées pour identifier les événements de l’environnement urbain susceptibles d’occasionner des risques d’agression et d’affecter le sentiment d’insécurité ».

S’inspirer des exemples précédents et suivre les recommandations :

Dans sa synthèse du rapport de l’expérimentation des 12 marches exploratoires qu’elle a coordonnée, France Médiation, une association nationale de médiation sociale constate leur succès global mais pose quelques recommandations.

Parmi les éléments de réussite, ces marches ont permis l’empowerment collectif et individuel des habitantes, souvent éloignées des formes traditionnelles de participation mais qui, dès lors, ont pris conscience de leur place et de leur à rôle à jouer dans les institutions locales. Ceci a eu pour effet de leur donner envie de s’impliquer davantage dans la vie locale. L’association note aussi que ces marches créent une dynamique positive de la part des différents acteurs qui ont pris part à leur organisation. Sans cela, les marches n’auraient pas eu le même succès. Associations, élu.e.s, habitantes de quartier, … toutes et tous doivent donc se mobiliser ensemble pour la réussite de ce projet, et ce, malgré un travail transversal d’ordinaire plutôt difficile.

France Médiation rappelle aussi que l’élu doit jouer correctement un rôle « d’écoute active ». Le rapport déplore que certains élus aient tendance à cadrer beaucoup trop la parole des habitantes, ce qui limite grandement l’intérêt de ces marches. Mais il ne faudrait pas, au contraire, donner une importance exclusive aux marches exploratoires et négliger les autres formes d’expressions citoyennes.

Avoir conscience des enjeux et des limites

Malgré leurs accueils très souvent positifs, les marches exploratoires peuvent tout de même offrir leurs lots de frustrations et de déceptions. Elles peuvent conduire à des demandes excessives ou insolubles de la part des habitantes, en décalage avec les réalités sociales ou économiques de la commune. Elles peuvent aussi, par le nombre restreint des personnes impliquées dans le projet et le lieu ciblé (souvent un quartier) entraîner des demandes particulières voire partisanes faisant fi des besoins de l’ensemble de la collectivité. Les demandes peuvent aussi se heurter à des problèmes plus profonds, comme l’insécurité liée aux trafics de drogue. Le Monde cite par exemple le cas d’installation de réverbères qui ont rapidement été sciés par des délinquants. Les normes écologiques peuvent aussi être un frein puisque certaines communes ont pris la décision de ne plus éclairer à partir d’une certaine heure, alors que cette demande revient très souvent.

Le principe et le succès de la marche exploratoire dépend avant tout de l’investissement des élus locaux qui doivent être prêts à s’engager et à s’investir dans des solutions une fois les problèmes constatés. Car les marches sont là pour établir un diagnostic et c’est ensuite aux élus d’agir.

Ne pas avoir peur de s’affranchir des règles

Les marches exploratoires, par leur méthodologie scientifique, se définissent à travers une série de règles et de consignes bien précises. Et par leur succès et leurs enjeux, elles sont parfois très encadrées par des échelons supérieurs à celui du local. Pourtant, il faut garder à l’esprit que ces expérimentations font partie intégrante de la démocratie locale. Rien n’empêche donc de réaliser la tenue d’une marche exploratoire en s’affranchissant de quelques règles préétablies.

C’est le choix de Bernadette Guéry, élue municipale de Blagnac qui a organisé une « émanation des marches exploratoires » en faisant intervenir simplement des citoyennes, des associations de quartier et des bailleurs sociaux. Bien que la commune de Blagnac soit partenaire et que cette action entre dans le cadre du contrat de la ville puisque la marche a eu lieu dans un quartier prioritaire, ce n’est pas une action municipale mais bien une démarche des élues locales. La méthodologie diffère mais l’essence même de ces marches est préservé : le point de vue féminin est omniprésent et le groupe choisi est représentatif des différents besoins puisque la marche comprenaient des personnes handicapées, des seniors ainsi qu’une mère isolée. Bernadette Guéry recommande ce format moins « institutionnel », moins « protocolaire » qui est l’une des raisons du succès de son action. Selon elle, les citoyens adhèrent mieux à ce cadre moins contraignant car on s’y retrouve « presque en famille ». Et le fait de faire intervenir un bailleur social a permis d’apporter tout de suite des réponses concrètes aux citoyennes impliquées dans cette marche. Un retour aura bientôt lieu entre les élues et un bilan de cette marche sera fait lors d’un prochain conseil municipal mais Bernadette Guéry envisage déjà de renouveler cette expérience dans d’autres quartiers.

Se lancer !

Symbole d’une nouvelle démocratie participative, symbole d’une politique de terrain et véritable moment d’actions concrètes, les marches exploratoires répondent à de nombreuses attentes de la part des citoyens et des citoyennes. Il y a une vraie demande autour de cette problématique. Il ne reste plus qu’à se lancer !

Plusieurs associations, dont le CIV ou France Médiation, sont prêtes à vous accompagner si besoin.

Mais la première démarche, c’est tout simplement d’en discuter autour de soi. Nul doute que d’autres élus, que des citoyennes ou qu’une association de quartier vous suivront dans ce projet.