Depuis mai dernier, une grande enquête sur l’insécurité est menée par des universités de Bordeaux dans le cadre de l’Opération Campus. L’étude organise des marches exploratoires sur le campus de…
Depuis mai dernier, une grande enquête sur l’insécurité est menée par des universités de Bordeaux dans le cadre de l’Opération Campus. L’étude organise des marches exploratoires sur le campus de Pessac, ce qui est une première en France. Nous avons contacté l’une des organisatrices, Marion Paoletti, maîtresse de conférences en sciences politiques à l’université de Bordeaux et spécialiste des questions de genre, de parité et de démocratie participative, pour nous présenter cette initiative inédite qui doit s’achever en décembre. A mi-parcours, l’enquête s’annone déjà révélatrice.
Une enquête qui fait intervenir de nombreux acteurs
Marion Paoletti participe à cette étude en tant que chargée de mission à l’égalité entre les femmes et les hommes à l’Université de Bordeaux. Cette fonction est institutionnalisée dans toutes les universités en France. Elle collabore ainsi dans le cadre de cette enquête avec les chargées de mission des autres universités participantes. Car, outre l’Université de Bordeaux, c’est aussi l’université Bordeaux Montaigne, Sciences Agro, l’IEP et l’INP qui participent au projet. Les chargés de mission à l’initiative de cette étude ont réussi à convaincre l’Opération Campus de coordonner l’enquête. Ce “plan campus” gère la rénovation du campus de Pessac-Gradignan-Talence qui doit avoir lieu de 2018 à 2022. Intégrer cette enquête sur l’insécurité à l’Opération Campus permet de souligner les problèmes qu’il faut régler lors de la future rénovation et ainsi donner aux étudiantes et étudiants, par le biais de questionnaires et de marches exploratoires, le moyen d’être consultés directement.
Parmi le comité de pilotage de cette enquête, on retrouve aussi la Direction départementale de la sécurité publique (DDSP), des élus locaux qui représentent la Métropole de Bordeaux ainsi que le Centre régional des œuvres universitaires et scolaires (CROUS) qui gère les logements étudiants.
Le campus étudiant, un lieu à part
Marion Paoletti le confirme, jamais des marches exploratoires au sein d’un campus n’avaient été organisées en France. Il faut dire que le campus est véritablement un territoire à part au sein d’une commune. Souvent résumé à sa dimension universitaire, il accueille en son sein une population composée quasi-exclusivement d’étudiants et d’étudiantes, encore souvent attachés et rattachés au domicile de leurs parents. Pourtant, cette population ne fait pas qu’étudier sur le site universitaire ; une partie vit pleinement dans ce lieu. Ainsi, malgré quelques disparités notables, les besoins et les demandes des étudiantes qui y résident ne différent pas de celles des habitantes des quartiers, plus souvent concernées par les marches exploratoires. La question de la sécurité et ses problématiques, qui s’articulent principalement autour du transport et de l’éclairage, reviennent de la même façon.
Selon les chiffres préliminaires de l’enquête rapportée par Marion Paoletti, sur les 4920 répondants au questionnaire envoyé aux étudiant.e.s (mais aussi aux personnels des universités concernées) seulement 3% considèrent le campus inquiétant de jour alors qu’ils sont la moitié à le considérer comme tel la nuit. Les femmes sont deux fois plus inquiètes que les hommes et ont tendance à adopter des stratégies d’évitement. Par exemple, Marion Paoletti rapporte que des « chemins de chèvres se sont développés pour aller de la bibliothèque universitaire jusqu’au village 5“, que “les étudiantes évitent les endroits non-éclairés“, que “la moitié des répondants ne vient pas sur le campus en dehors des heures de cours ou de travail” et qu’ “un tiers évite de s’y déplacer seul“.
Une insécurité qui concerne étudiants et étudiantes
L’enquête adopte une méthodologie rigoureuse. Elle a débuté par une réunion publique de sensibilisation au problème. Il y a eu ensuite une séance de cartographie pour repérer “les parcours qui étaient les plus problématiques et qui étaient empruntés par les personnes venues témoigner” afin de délimiter le tracé des marches exploratoires. Lors de celles-ci, un accompagnant a veillé à ce que toutes les participantes puissent s’exprimer équitablement. Enfin, un compte rendu a eu lieu après chaque marche puis une réunion participative pour élaborer des propositions en direction du comité de pilotage.
Cependant, l’évolution de l’enquête a conduit les organisateurs à s’éloigner de la méthodologie classique des marches exploratoires en renonçant à son principe de non-mixité. Le questionnaire a en effet révélé que les étudiants étaient aussi concernés par des problèmes d’insécurité et que le risque de voir la parole des femmes confisquée était moindre. Marion Paoletti souligne en ce sens que “les étudiantes qui viennent sont très sensibilisées, n’ont aucune difficulté dans la prise de parole et ne sont pas spécialement inhibées en présence des garçons”.
Selon le questionnaire, un quart des répondants a été victime d’une situation délictuelle. Les actes ont surtout lieu dans le tram. Ce n’est guère surprenant lorsqu’on repense à l’enquête sur la situation des femmes dans les transports en commun à Bordeaux, réalisée en 2016, qui avait déjà constaté ce phénomène. Depuis, TBM a lancé une grande campagne de prévention afin de lutter contre le harcèlement dans les Trams et les Bus.
L’insécurité dans les campus : un problème trop souvent négligé ?
Comme pour la plupart des marches exploratoires, les volontaires sont présentes et motivées. Il y avait une vraie attente de la part des étudiants et des étudiantes autour de cette question de l’insécurité au sein du campus. De nombreux problèmes (cas d’exhibition, agressions sexuelles,…) avaient déjà été signalés et constatés. Marion Paoletti note une véritable “appétence” des étudiants qui ont été nombreux à répondre au questionnaire en ligne, alors que le moment ne se prêtait guère à la mobilisation, preuve que le sujet devait être posé. La mobilisation est également présente pour les marches. Lors de celle du 19 septembre, une vingtaine d’étudiantes participaient.
L’enquête, avant même de s’achever, prouve donc que les marches exploratoires s’adaptent parfaitement au contexte de la vie étudiante et qu’elles permettent de répondre à des problématiques et des enjeux qui risquent de se montrer de plus en plus importants à l’avenir, à mesure que les campus de France vont s’accroître. Il y aurait 2,5 millions d’étudiants en France et seulement 375 000 logements étudiants ; ce qui représente un taux de couverture de seulement 15,4%. Mais ce nombre relativement faible, et le risque de vouloir construire le plus vite possible de nouveaux logements pour compenser ce manque, ne doit pas reléguer au second plan la question de la sécurité et du bien-être des étudiants qui vivent dans les campus universitaires.