L’agriculture n’est pas seulement un revenu économique d’un territoire, elle est aussi dans le patrimoine d’une très grande partie des communes françaises. Pilier de l’économie des petites communes, l’agriculture locale…
L’agriculture n’est pas seulement un revenu économique d’un territoire, elle est aussi dans le patrimoine d’une très grande partie des communes françaises. Pilier de l’économie des petites communes, l’agriculture locale est pourtant en mauvaise posture aujourd’hui. Comment les collectivités peuvent-elles accompagner ou valoriser cette filière ?
Construire un projet agricole de territoire
A chaque crise, les agriculteurs se tournent vers l’Etat, les préfectures et les collectivités locales pour réclamer des aides. Alors qu’il n’existe pas une compétence « agriculture » spécifiquement affiliée à un échelon territorial, les élus locaux disposent de certains leviers pour favoriser les producteurs locaux, tant au niveau communal qu’au niveau intercommunal.
Premier levier d’action des politiques publiques locales, les collectivités vont avant tout devoir définir un projet de territoire, c’est à dire une stratégie de développement et d’aménagement de son territoire et le traduire dans ses documents.
Premier cadre permettant l’élaboration d’une stratégie de territoire: les Pays. Cette catégorie administrative désigne un territoire présentant une « cohésion géographique, économique, culturelle ou sociale, à l’échelle d’un bassin de vie ou d’emploi » afin d’exprimer « la communauté d’intérêts économiques, culturels et sociaux de ses membres » et de permettre l’étude et la réalisation de projets de développement selon sa loi fondatrice du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire.
Conçus pour mettre en œuvre des politiques d’appui aux projets de développement des territoires ruraux, les Pays intègrent le rôle structurant des petites et moyennes villes. Depuis 2007, les Pays agissent dans de nouveaux domaines qu’auparavant, comme le soutien à l’économie sociale et solidaire ou à l’agriculture. Si la réforme territoriale a rogné leurs prérogatives, ils restent l’échelon porteur des SCoT.
Ces Schémas de Cohérence Territoriale peuvent comporter deux types de mesures pouvant favoriser l’agriculture :
- Des mesures visant à maîtriser l’étalement urbain et donc l’artificialisation des sols par des planchers de densification, des quotas fonciers en extension urbaine, une définition d’enveloppes urbaines…
- Des mesures de protection des espaces agro-naturels plus directes et défensives : délimitation en parcelle de secteurs agricoles protégés, définition à la parcelle de « champs urbains » dans des secteurs soumis à une forte pression d’urbanisation périurbaine, ou encore définition à la parcelle de « zones AOC inconstructibles ». Ces espaces protégés sont dans ce dernier cas définis en fonction de leur capital économique plus que pour leur inscription dans une continuité écologique.
Enfin, bien plus complet qu’un SCoT, un PLUi est la traduction dans les documents d’urbanisme du projet de territoire. Dès lors, comment traduire sa volonté d’encourager l’agriculture locale dans ce document d’urbanisme ?
Celui-ci détermine les règles d’aménagement et d’utilisation des sols sur un territoire et traite donc la problématique de la consommation d’espace. S’il est difficile d’encourager telle ou telle pratique agricole dans les documents du PLUi, la définition du zonage va avoir une importante portée.
Des arbitrages devront être faits et ceux-ci dépendront des orientations que vous souhaitez donner à l’agriculture locale. Celle-ci se traduira dans la définition des zones A ou N : d’aucuns privilégient la production agricole et multiplieront zones A tout en limitant les zones N, pendant que d’autres vont au contraire privilégier les zones N.
- Zone N : vise les secteurs à protéger pour leur qualité esthétique, historique ou écologique, ou les zones liées à l’existence d’une exploitation forestière, ou encore les espaces au caractère d’espaces naturels (article R. 123-8 du code de l’urbanisme).
- Zone A : exclusivement agricole, et doit posséder un potentiel agronomique, biologique ou économique (article R. 123-7 du code de l’urbanisme).
Il est possible d’édicter en parallèle une charte agriculture, urbanisme et territoires ayant pour objet de fournir aux territoires des outils leur permettant d’intégrer les enjeux agricoles dans la planification ou l’urbanisme opérationnel, pour un partage raisonné du territoire entre l’agriculture et l’urbanisme.
GAEC et CUMA, l’union fait la force
Afin d’être plus résistants face aux aléas économiques et ne plus être de solitaires exploitants de vastes terres, un nombre grandissant d’agriculteurs s’unissent au sein de GAEC. Ces Groupement Agricole d’Exploitation en Commun existent depuis 1962, ils permettent à des agriculteurs de travailler en commun en s’associant. L’idée est de mettre en commun exploitations existantes (surfaces, bâtiments), mais aussi compétences, matériels et cheptels et enfin de vendre en commun le fruit du travail de chacun.
Si la création d’un GAEC peut être longue et fastidieuse et que l’agriculteur perd inévitablement de son indépendance – il a des associés -, ce statut présente de réels avantages comme la protection que peut apporter une claire séparation des patrimoines personnel et professionnel, la possibilité de cumuler des aides mais aussi tout simplement la possibilité de pouvoir prendre des vacances si l’entente est bonne avec les autres associés car chacun peut compter sur les autres pour effectuer le travail nécessaire à la bonne marche des exploitations.
Autre possibilité, les agriculteurs peuvent se regrouper en CUMA. La Coopérative d’Utilisation de Matériel Agricole va permettre à ceux-ci de mutualiser des moyens – matériels, main-d’œuvre, hangars, ateliers…- nécessaires à leur activité agricole mais aussi de mettre en commun leurs ressources afin d’acquérir du matériel agricole.
Marie-Josée Garderes, directrice de la Fédération départementale des CUMA de Gironde, nous explique ainsi que « cela permet de pérenniser les exploitations par le partage de matériel, de main d’œuvre et des investissements dans l’achat de matériel. La mutualisation des charges fixes permet de ne payer ainsi qu’à hauteur de ses besoins ». De plus, ce type de groupement et de mise en commun du travail permet de retisser du lien social « et il y en a besoin : avec les exploitations qui s’agrandissent, les agriculteurs sont souvent seuls ».
Pour les GAEC et les CUMA, la principale tâche des élu(e)s va être de communiquer, « de faire circuler de l’information sur l’avantage de partager les investissements » et d’ainsi inciter les exploitants à s’unir. De plus, des aides incitatives au développement et à l’investissement coopératif existent tel que le “Dispositif d’accompagnement des projets et initiatives des CUMA” proposé par l’Etat. Enfin, dans les territoires ruraux où la commune est propriétaire de terrains agricoles, « elle peut adhérer à une CUMA jusqu’à 15 000€ par an » et ainsi assister les agriculteurs associés qui aideront aussi à l’entretien des terres communales.
Valoriser et encourager la production locale
Si le secteur agricole semble en difficulté, il n’en est pas de même pour l’ensemble de ses filières. En effet, surfant sur l’évolution de la demande de consommateurs bien plus exigeants que par le passé, l’agriculture biologique est en plein essor. Cependant, la filière reste perfectible et les collectivités locales interviennent parfois directement en soutien économique, bien qu’elles soient le plus souvent limitées à un rôle d’information et d’incitation.
Tout d’abord, elles peuvent élaborer des PAT, des Projets Alimentaires Territoriaux que l’on pourrait grossièrement définir comme des circuits-courts institutionnalisés. Depuis la Loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt du 13 octobre 2014, ces PAT ont pour but de renforcer l’ancrage local de l’alimentation et de « rapprocher les producteurs, les transformateurs, les distributeurs, les collectivités territoriales et les consommateurs et à développer l’agriculture sur les territoires et la qualité de l’alimentation ». C’est le cas dans des projets comme dans le Pays Mellois ou à Mouans-Sartoux, visant à favoriser producteurs locaux et/ou bio dans la restauration collective locale, dans les accueils de loisirs, etc.
De la même manière que pour les CUMA et les GAEC, concernant les AMAP – associations dépendant du droit privée – ou les démarches de vente à la ferme, les collectivités ne peuvent aider qu’en informant et en incitant. L’aide est loin d’être négligeable tel que l’explique Emmanuel Aze, secrétaire national de la Confédération Paysanne : « depuis l’an dernier, la CAGV [ndlr : Communauté d’Agglomération du Grand Villeneuvois] promeut la vente à la ferme. Ils ont dressé une liste des producteurs qui font de la vente à la ferme et ont proposé d’être visibles sur des dépliants à destination des locaux et des touristes indiquant les adresses et les produits . Par ailleurs, elle a installé toute une série de panneaux, à ses frais, indiquant les ventes à la ferme ».
En revanche, pour favoriser l’installation de jeunes agriculteurs, les mairies peuvent avoir un rôle bien plus actif. En effet, « lors du départ à la retraite d’un agriculteur, les mairies préemptent le foncier de façon à le mettre à la disposition de jeunes qui cherchent du foncier ». Ce fut notamment le cas à Albi où une vaste friche a été réservée à de jeunes agriculteurs en contrepartie d’une exigence de qualité.
Il est toutefois possible aux collectivités de soutenir les producteurs locaux en investissant à l’exemple du Pays d’Auge (Calvados) qui a renforcé à la fois les filières cidricole, fromagère et viande par des investissements à hauteur de 5 millions d’euros dont la moitié de financement public, notamment par le Conseil Régional Basse-Normandie et le département du Calvados.
De plus, n’oublions pas que l’agriculture peut indirectement jouer un rôle prépondérant grâce à la valorisation de ses déchets ! En effet, méthanisation et donc production de biogaz sont un aspect primordial de la relocalisation de la production d’énergie, élément majeur d’une transition énergétique créatrice d’emplois et de dynamisme économique locaux.
Enfin, la valorisation des producteurs locaux et/ou biologiques dans les appels d’offres pourrait bientôt appartenir au passé. En effet, si « le droit de la concurrence européen interdit des clauses de localité dans les appels d’offres, le Ministère de l’Agriculture a édicté ses deux dernières années un guide pour “tricher” et contourner ce droit » nous explique Emmanuel Aze, une ratification du CETA mettrait en péril de telles pratiques : alors que de telles clauses existent dans le droit canadien, l’UE les a exclut des négociations. Dès lors, si le traité était ratifié, le Canada serait en droit d’attaquer toute collectivité privilégiant ses producteurs locaux…