Cette médiathèque propose un espace de partage de graines de fleurs ou de légumes : troc et échange pour une collection verte et solidaire.

Bibliothèques, médiathèques, et maintenant grainothèques ? Depuis les années 1980 et le constat que les contenus audiovisuels ont un intérêt culturel égal à celui des contenus écrits, les médiathèques ne cessent de fleurir partout sur le territoire. Désormais partie intégrante du service public des collectivités, elles continuent de se diversifier ; récemment, les graines ont fait leur entrée dans celle de Noisy-le-Sec (93). La médiathèque Roger Gouhier propose en effet un espace libre de partage de graines de fleurs ou de légumes. Inaugurée le 24 mars dernier, cette grainothèque prend doucement racine. Du troc et de l’échange pour une collection verte et solidaire.

De quoi parle-t-on ?

Lieux de travail, de lecture ou d’information, les médiathèques évoluent depuis plusieurs années et leurs usages se diversifient. De nombreux espaces sont aujourd’hui dédiés, en leur sein, aux échanges de bons procédés entre riverains. La médiathèque de Noisy-le-Sec ne fait pas exception et accueille aujourd’hui les habitants pour des échanges de graines et d’idées de jardinage, pour les professionnels comme pour les amateurs.

“Au moment de l’inauguration, une cinquantaine de personnes est venue, de la ville, mais aussi des alentours, parce qu’ouvrir une grainothèque, c’est encore peu courant !”, s’enthousiasme Isabelle d’Arpiany, directrice de la médiathèque. Le principe est simple : n’importe qui peut amener des graines de fleurs ou de légumes et les échanger contre d’autres variétés ; les graines déposées sont à leur tour placées à libre disposition.  “Les usagers apportent par exemple des graines de persil et les échangent contre des graines de fleurs”, explique la directrice. Et tout le monde est bienvenu.

Partage de connaissances et lien social

Prétexte à l’échange entre riverains, cet espace permet à toutes et tous de converser autour d’un sujet peut-être trop longtemps délaissé par les urbains : le jardinage. Les sachets de graines sont au centre d’une attention inédite et permettent aux habitants de partager leurs connaissances – méthodes de jardinage, astuces – ou simplement de manifester leurs préférences, leurs goûts. “L’idée de base, c’est de mettre en valeur de la documentation autour de la biodiversité, autour des plantes, mais c’est aussi une façon de réfléchir à la notion de biens communs”, rappelle Isabelle d’Arpiany.

médiathèque

 

Car les variétés ne manquent pas ! Dès le lancement, une trentaine de graines étaient à disposition. Et pas des plus banales ; les salades, radis et potirons côtoient en effet les graines de Lupins, d’Iris, les Œillets d’Inde, les belles de jour… Pour les non-connaisseurs, pas d’inquiétude, puisqu’un espace est dédié à la consultation de livres et de documentations diverses sur le sujet ; et sinon, rien n’empêche de demander des renseignements aux personnes présentes, ou d’assister aux ateliers. “Le jour de l’inauguration, nous avons fait un atelier de fabrication d’une mini serre avec un plan de coquelicot, pour les enfants” poursuit la dynamique directrice de l’établissement. En exacerbant la curiosité et en favorisant les échanges, la grainothèque, mine de rien, crée du lien social.

Biodiversité et durabilité

L’idée est d’autant plus séduisante qu’elle s’inscrit dans une perspective critique plus large. En effet, seules les semences dites “traditionnelles” ou “paysannes” sont acceptées, autrement dit non-industrielles. Le projet part du principe que les semences constituent un patrimoine historique précieux que les habitants doivent se réapproprier, et se place ainsi au-devant d’une industrie semencière recherchant, par le biais notamment de brevets, à monopoliser la propriété intellectuelle des variétés végétales. Isabelle d’Arpiany indique que “l’objectif est de faire en sorte que les usagers de la médiathèque ainsi qu’un nouveau public puissent avoir accès à des graines non-hybrides”. La grainothèque propose donc une alternative à des semences standardisées par des restrictions légales qui portent atteinte à la biodiversité, et qui de plus nécessitent généralement plus de pesticides et d’engrais. “Tout ça s’inscrit dans un projet plus large de végétalisation du parvis de la médiathèque”. En résumé, la grainothèque participe pleinement à promouvoir la biodiversité locale.

L’idée séduit d’autant plus que l’heure est à la réflexion sur les modes de consommation. De plus en plus de personnes questionnent leurs modes de consommation, leurs styles de vie, en partant du constat qu’une généralisation globale de leurs “mauvaises habitudes” ne serait pas durable environnementalement parlant. Cultiver son propre jardin, c’est à cet égard participer à la réduction de son empreinte carbone, puisque c’est réduire sa consommation de biens importés, éviter les produits qui ne seraient pas de saison, réguler de manière autonome sa consommation, en dehors des fluctuations initiées par l’industrie agro-alimentaire.

La nature : bien commun

jardinageSi la grainothèque peut participer à la création de lien social et à l’adaptation des modes de consommation au contexte actuel, ”encore faut-il que les gens puissent les planter, leurs graines”, pourrait-on dire. Parce qu’on parle ici de Noisy-le-Sec, et non pas d’une commune rurale où la majorité des riverains possèdent un lopin de terre potentiellement dédié au jardinage. Mais le site de la médiathèque le précise “une grainothèque s’adresse à tous les jardiniers amateurs locaux mais aussi plus largement à tous les usagers de la médiathèque qui sont susceptibles de participer à cet échange en semant sur leur balcon ou sur un rebord de fenêtre”.

Bien que toute jeune, la grainothèque de Noisy-le-Sec attire du monde “Chaque semaine, une dizaine de paquets de graines est échangée”, se félicite Isabelle d’Arpiany. Et si elle attire en partie des personnes déjà acquises à la cause, elle en séduit d’autres également : “Le jour de l’inauguration, explique la directrice, une partie du public était déjà sensibilisée et concernée par ces questions. Mais nous avons touché une trentaine de familles et d’enfants qui n’étaient pas forcément sensibilisés auparavantL’objectif est vraiment de continuer à travailler dans cette direction-là, pour les personnes qui viennent des quartiers et qui vivent dans la pauvreté”. Il est clair qu’à la grainothèque de Noisy-le-Sec, la nature recrute, et avec elle, la solidarité.

Cette initiative pose les bases d’une réflexion sur la place de la nature en ville, et sur le rôle du service public étendu à de telles problématiques. La grainothèque est en effet un prétexte à l’organisation d’évènements et d’animations visant à promouvoir la biodiversité, à sensibiliser la population aux problématiques environnementales, et à souligner l’importance de la nature en ville. Qui sait, une grainothèque victime de son succès pourrait rendre nécessaire, à l’avenir, l’aménagement de potagers collectifs au sein de la ville ?