En finir avec la « ville par et pour les hommes », de grandes métropoles comme Bordeaux ou Lille s’y attellent. Mais, dans des communes plus modestes, on s’attaque également à cette…

En finir avec la « ville par et pour les hommes », de grandes métropoles comme Bordeaux ou Lille s’y attellent. Mais, dans des communes plus modestes, on s’attaque également à cette problématique du sort des femmes dans la ville. C’est le cas de Villeneuve-sur-Lot (47) où la Maison des Femmes a organisé une conférence-débat sur le thème avec Yves Raibaud, maître de conférence à l’Université Bordeaux Montaigne, en invité d’honneur. Nous y étions.

Le déséquilibre des offres

Pour Yves Raibaud qui a beaucoup travaillé sur la question, la soirée a d’abord consisté en une présentation synthétique de ses travaux à un auditoire relativement nombreux et, soulignons-le, loin d’être exclusivement féminin. Une présentation très instructive pour un public non averti au regard des discussions qui l’ont suivie.

Parlons d’argent tout d’abord. Yves Raibaud a commencé sa présentation par la mise en évidence des profonds déséquilibres que l’on peut aisément vérifier dans les « offres culturelles, sportives, de loisirs… proposées aux garçons et aux filles ». En effet, selon ses études, « ¾ des dépenses publiques profitent aux garçons, tous équipements et loisirs confondus ».

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En ligne de mire, les équipements publics en libre accès type city-stades, skate-parks ou terrains de basket, pensés comme étant mixtes mais, dans les faits, accaparés par les garçons et où les filles sont généralement cantonnées à un rôle de spectatrices voire directement intimidées.

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Les city-stades, exemple type des investissements pensés pour tous et en réalité accaparés par les garçons

Nous avons déjà plusieurs fois abordé la solution avancée par Yves Raibaud : le gender budgeting ou la recherche d’un réel équilibre entre dépenses pour les garçons et pour les filles. Autre solution : faire comme en Suède où les terrains sont réservés aux filles certains jours de la semaine et les autres jours en libre accès. L’observation montre alors que la pratique du sport mixte y est beaucoup plus spontanée.

La ville, espace public hostile

Embrayons sur un sujet bien plus complexe à résoudre : la rue. Sans parler nécessairement de harcèlement de rue systématique, les interpellations plus ou moins subtiles et grossières y sont monnaies courantes dans les grandes villes aussi bien que dans les petites villes, contribuant à l’établir comme un espace public plus ou moins hostile aux femmes et aux jeunes filles. De plus, la peur de l’interaction et du possible dérapage contribue à installer de nombreuses femmes dans un état de stress plus ou moins permanent, instaurant l’espace public comme un milieu anxiogène.

Ainsi, le sentiment d’insécurité dans la ville est une constante de jour et encore davantage de nuit où « dès que la nuit tombe, il y a une grande différence d’approche de la ville » selon Yves Raibaud. En effet, si les hommes peuvent rentrer chez eux seuls sereinement, de nombreuses femmes « semblent partir du principe que la ville est dangereuse pour elles » et adoptent alors de vraies stratégies : elles ne se déplacent qu’en groupe, portent le plus souvent des vêtements cachant au maximum leur corps et, si elles vont à des fêtes ou en boîte, il est courant qu’elles prévoient deux paires de chaussures – une pour faire la fête, l’autre pour marcher dans la rue… et fuir si besoin.

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Le harcèlement de rue, véritable fléau instaurant l’espace public comme hostile aux femmes

Yves Raibaud préconise donc d’étudier minutieusement les déplacements des hommes et des femmes, ce qui permet d’identifier les zones problématiques et d’essayer d’y apporter une solution qui peut parfois être très simple. Le conférencier donne ainsi l’exemple d’un petit tunnel que les joggeurs empruntaient à Bordeaux mais que les joggeuses évitaient, la simple installation d’une lampe a contribué à rassurer ces dernières.

Autre solution : repenser la spatialisation des cours de récréation pour changer les mentalités des enfants. Expliquons-nous : en installant un terrain de sport au milieu de la cour, on établit une situation dans laquelle les garçons vont occuper l’espace central, voire en déborder lorsque le ballon sortira des limites du terrain. Les filles ou les garçons peu portés sur le sport se tiendront en périphérie et adopteront des stratégies d’évitement pour ne pas traverser le terrain. Dès lors, les garçons sportifs, “virils”… sont habitués à s’accaparer l’espace public – le centre de la cour de récréation puis ensuite la rue – alors que dans le même temps, les filles transposeront ces stratégies d’évitement dans la rue.

La ville durable, pensé par les hommes

L’Enfer est pavé de bonnes intentions dit-on. De la même manière, les façons actuelles de penser et d’organiser la ville durable posent toujours plus de contraintes aux femmes. Trois grands écueils peuvent être identifiés :

  • La volonté -aussi louable puisse-t-elle être – d’éloigner les voitures des centres-villes négligent le fait que les femmes sont toujours de grandes utilisatrices de la voiture : la comparaison des tâches accomplies par les hommes et les femmes dans les couples effectuée par les équipes d’Yves Raibaud met en évidence que les femmes font encore les ¾ des tâches domestiques. Or, il est beaucoup plus difficile d’aller faire les courses, être chargé(e)s, aller chercher les enfants et les amener à leurs diverses activités extra-scolaires ou de s’occuper des personnes âgées à vélo ou via les transports en commun. De plus, il ne faut pas négliger l’aspect protecteur que peut représenter la voiture ;
  • Les transports en commun s’imposent également comme des lieux “hostiles” aux femmes : 100 % des interrogées déclarent ainsi avoir été victimes d’agressions sexuelles ou « des innombrables micro-agressions» – comme les regards insistants par exemple – au cours de sa vie. De plus, les arrêts de tramways ou de métros ne sont pas des lieux où l’attente y est particulièrement plus rassurante surtout de nuit ou s’il y a des groupes d’individus alcoolisés ;
  • Enfin, l’étude de l’utilisation des tant vantés vélos révèle quelques points très instructifs : le principal utilisateur est un homme blanc, relativement jeune et sportif – d’autant plus que, dans certaines cultures, les femmes n’apprennent pas à faire du vélo – et selon Yves Raibaud, loin d’être la solution à la ville durable, « le vélo creuse les inégalités entre les femmes et les hommes». En effet, s’il existe de nombreuses cyclistes, le chiffre s’effondre de nuit et après le second enfant d’après les études.
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A vélo, difficile de porter les courses ou d’amener les enfants à l’école

En cause ? « Les pratiques de la ville durable sont inégalitaires car elles sont pensées par les hommes ». En effet, parmi les politiques, les architectes, les urbanistes… bref, parmi les penseurs et les décideurs de la ville, les hommes sont une écrasante majorité.

La ville pour tous, on fait comment ?

Tout d’abord, et c’est là le but des recherches d’Yves Raibaud, les collectivités doivent prendre conscience de l’inégalité et/ou l’inefficacité des politiques traditionnellement mises en place. Ainsi, les résultats du travail de déconstruction des idées reçues et d’analyse in situ des politiques publiques ont souvent surpris – plus ou moins de bonne foi – les élus auxquels Yves Raibaud a présenté ses conclusions.

En effet, le conférencier a ainsi évoqué de nombreux élus tombant des nues lorsqu’il leur avait présenté ses résultats, démontrant que les équipements publics théoriquement mixtes étaient systématiquement accaparés par les garçons et que ces investissements pensés pour canaliser l’énergie des garçons contribuaient au final à une reproduction, « à un continuum » des comportements décriés – certaine violence, intimidation, machisme, etc.

Mais ce travail de déconstruction doit aussi se faire vis-à-vis des architectes et des urbanistes – pratiquement systématiquement des hommes, rappelons-le – chez qui certaines manières de faire et de réfléchir sont solidement ancrées. Yves Raibaud cite ainsi l’exemple d’une architecte s’énervant lors de l’élaboration d’une nouvelle cour de récréation car ses projets étaient rejetés : il souhaitait initialement placer un terrain de sport au milieu de la cour, puis ensuite en périphérie… et ne comprenait pas que l’établissement ne voulait pas d’un terrain pour les raisons évoquées précédemment.

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La concertation, c’est aussi réellement écouter les femmes

Ensuite, il va s’agir de tout simplement revenir au fondement de la démocratie : la concertation ! Le principal écueil de la construction de la ville aujourd’hui mais aussi de la ville durable est selon Yves Raibaud l’absence de concertation avec les femmes, leurs problématiques ne sont tout simplement que très peu prises en compte. Cette concertation doit surtout être réelle, le partage du temps de parole et l’écoute sont indispensables lors des réunions publiques sur le sujet. Yves Raibaud prend ainsi l’exemple d’une réunion publique à laquelle il a participé à Bordeaux où de nombreux pontes de l’urbanisme étaient présents. Outre le nombre grandement minoritaire de femmes, celles-ci n’ont pu parler que 17 min cumulées contre plus de 2 heures pour leurs homologues masculins.

Le déroulé de telles réunions publiques est donc absolument à revoir car les observations d’Yves Raibaud démontre un temps de parole grandement inférieure pour les femmes, mais aussi que leurs interventions sont très souvent interrompues et les problématiques abordées bien souvent considérées comme secondaires. Dès lors, même si les femmes sont présentes lors des réunions publiques sur de tels sujets, la situation ne pourra guère s’améliorer si leurs opinions ne sont pas prises en compte.

Enfin, last but not least, il convient de rappeler aux élus leurs devoirs, à savoir installer une ville où il fait bon vivre pour tous. Yves Raibaud cite ainsi l’exemple d’un élu lui ayant rétorqué que « ce n’était pas à eux de faire en sorte que les femmes puissent faire la fête jusqu’à tard le soir » en toute tranquillité . On serait tenté de répondre que si…