Depuis le transfert de la compétence petite enfance aux intercommunalités, celles-ci ont la charge de la gestion des crèches. Régulièrement égratignées, vues comme de simples garderies aux activités manquant cruellement…
Depuis le transfert de la compétence petite enfance aux intercommunalités, celles-ci ont la charge de la gestion des crèches. Régulièrement égratignées, vues comme de simples garderies aux activités manquant cruellement d’originalité, de nombreuses structures innovent au contraire. Ainsi, bon nombre d’entre elles proposent un éveil musical pour les petits.
Éveil musical dans les crèches, quels bienfaits ?
Pourquoi les élu(e)s à la petite enfance devraient se concentrer sur l’écoute de la musique chez les tout petits ? De nombreuses études, dont une récente menée par Chantal Caracci, ont clairement mis en évidence les bienfaits d’une sensibilisation à la musique dès le plus jeune âge.
En effet, sensibiliser les plus jeunes à la musique stimulerait leurs neurones et éveillerait leur curiosité. De 3 à 10 mois, l’oreille, sens le mieux développé à la naissance, pourrait entendre tous les sons de toutes les langues étrangères. Ce n’est qu’à partir du 10ème mois que l’oreille se spécialiserait à entendre la langue qui devient sa langue maternelle. Plus tard, il est possible de travailler à faire reconnaître les sons aux enfants, à associer un son et l’image correspondante (par exemple, faire associer cri d’une mouette et son image, son d’un instrument et son image…).
Ainsi, des activités comme des comptines étrangères en langues étrangères, accompagnées d’instruments exotiques ou comme des initiations aux langues étrangères permettraient d’entretenir la capacité d’écoute du tout petit et d’ainsi conserver une palette sonore plus large et de retenir, dès 2-3 ans, près de 15 000 sons !
Un tel éveil musical est-il un luxe, superflu ? Et bien non : les études mettent en évidence que la musique activerait les mêmes zones du cerveau que le langage. « Dans la musique, on retrouve les mêmes mécanismes que dans une langue » nous explique ainsi Sylvain Darasse, en charge de l’Éveil musical chez l’Institut de la Culture Musicale qui propose différents ateliers de sensibilisation à la musique dans les collectivités.
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Par une « exploration du monde sonore, des jeux de voix parlés et/ou chantés, un travail sur le corps sonore [sic] », les ateliers permettent de travailler au développement du langage mais aussi au développement psychomoteur et social : l’intervention d’un musicien, c’est aussi pour l’enfant le moyen « d’apprendre à écouter, à se positionner par rapport à l’autre, à interagir avec d’autres sons ». Là où une classe traditionnelle peut facilement être envahie de cris ou de pleurs, Sylvain Darrasse nous explique que l’irruption d’un musicien ou de musique peut calmer les enfants presque comme par magie, « on arrive à avoir des temps d’écoute bien supérieurs à d’habitude ».
En travaillant à développer l’oreille de l’enfant, son écoute, celui-ci va prendre du plaisir mais aussi commencer à apprendre certaines capacités d’expression. Ainsi, chez les « grands » de 2-3 ans qui commencent voire savent parler, il est possible de les faire travailler à chanter.
Une oreille entrainée très tôt permettrait ainsi d’avoir plus tard un vocabulaire plus riche, de pouvoir plus tôt comprendre l’architecture et les sonorités des langues. De plus, l’étude menée par Chantal Caracci sur des enfants ayant suivi ces éveils musicaux montre des résultats largement positifs chez tous les enfants, et ce peu importe leurs univers familiaux.
Enfin, et c’est peut-être bien là le plus important, la musique activant les mêmes zones que le langage, la musique rendrait “intelligent” car le langage est à la base de tout apprentissage, à commencer par la lecture, clé de la réussite scolaire !
Un milieu en difficulté ?
Dès lors, pourquoi ce dispositif n’est pas systématique ?
Reproche courant aux crèches publiques, celles-ci manqueraient d’activités intéressantes et ne seraient que des garderies. Sur des forums ou des blogs, il est assez facile de trouver des témoignages de parents se plaignant d’un supposé manque d’activités : « nous (…) faisons beaucoup de reproches à l’équipe car elles ne font aucune activité avec les bébés. Les enfants sont dans une grande salle avec des jouets et ils se débrouillent. Jamais entendu de musique pour l’éveil musical, jamais d’activité pâte à modeler ou coloriage ou peinture… » (source), « Avec des crèches accueillant 20 à 60 “maximonstres” [sic], ça fait des grands groupes d’enfants et beaucoup d’adultes qui virevoltent dans tout ça, donc de l’attente entre les activités, pendant les moments de nettoyage, pendant que le reste des “maximonstres” passent aux toilettes/repas/activités/mettent manteaux et chaussures, et j’ai fait mon petit calcul, sur une journée de 10h, ça représente presque 1h15. Pour des moins de trois ans, c’est juste énorme… Alors il apprendra la patience et la frustration » (source).
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Alors que les restrictions budgétaires frappent l’ensemble des services assurés par les collectivités, qu’un important travail est fait dans de nombreuses collectivités afin de fournir des repas produits localement aux enfants et que la complexité du travail budgétaire accapare une grande partie du temps des équipes municipales, le champ des possibles pour les personnels des crèches se trouve limité.
Entre 2013 et 2017, le gouvernement a consacré 4,6 milliards d’euros supplémentaires au Fonds National d’action sociale dans l’objectif de développer l’offre d’accueil pour les moins de 3 ans. 100 000 places dans les crèches et 100 000 autres chez les assistantes maternelles devaient être créées. Or, la baisse des dotations de l’Etat d’une part et le durcissement des conditions de financement des établissements d’accueil du jeune enfant par la Cnaf (Caisse Nationale des Allocations Familiales) d’autre part, exigeant une égalité du service rendu mais rendant aussi plus complexe l’accueil des plus fragiles, ont découragé de nombreux élus à créer de nouvelles structures et/ou améliorer l’accueil dans celles déjà existantes.
Peu de moyens ? Pas un obstacle
Cependant, Sylvain Darasse nuance clairement les reproches faits souvent aux crèches et rappelle qu’il est relativement simple d’élaborer des activités de sensibilisation.
En effet, il explique que, depuis 25 ans, les personnels de crèches feraient un travail de plus en plus riche sur la sensibilisation aux sons et aux musiques, notamment grâce aux évolutions technologiques qui ont permises une démocratisation de la musique. Aujourd’hui, grâce à Internet et la musique numérique, il est extrêmement facile de pouvoir accéder à un vaste panel de musiques différentes et y sensibiliser les plus petits.
Sans aller jusqu’à la « bulle musicale » qui permet aux enfants des crèches CAP Enfants d’entendre et s’entraîner à reconnaître de nombreux sons, il est parfaitement possible d’élaborer un grand nombre d’activités grâce à un simple lecteur CD ou mp3 et des instruments exotiques simples comme les maracas ou les bâtons de pluie.
En revanche, les personnels n’étant pas spécifiquement formés à de telles activités, il est toujours possible d’aller plus loin : un musicien ou un animateur spécialisé auront davantage d’expérience, peut-être accès à un meilleur matériel, permettront d’approfondir le travail de sensibilisation, le travail sur l’écoute, l’interaction avec les enfants ou encore l’animation des activités. Un musicien, expérimenté, aura une maîtrise des rythmes, des pratiques instrumentales qui sauront peut-être davantage attirer l’attention et aiguiser la curiosité de l’enfant.
De plus, point non négligeable, l’intervention d’une personne extérieure à la crèche constitue un petit événement dont les enfants sont parfaitement conscients, accroissant d’autant plus leur curiosité et leur réception de l’activité.
Relativement facile à mettre en place et paré de bienfaits considérables, à condition d’être organisé sur le long terme, l’éveil musical est sans nul doute une initiative à généraliser, à commencer dans les écoles formant les auxiliaires puéricultrices.