À Rennes, pour lutter contre les inégalités entre les filles et les garçons dans les écoles maternelles et primaires, des cours de récréation non genrées vont bientôt voir le jour….

À Rennes, pour lutter contre les inégalités entre les filles et les garçons dans les écoles maternelles et primaires, des cours de récréation non genrées vont bientôt voir le jour. De plus en plus de collectivités prennent conscience des enjeux qui se jouent autour de cet espace de loisirs qui se révèle être, en réalité, tout sauf anodin.

La cour de récréation : un espace genré dès l’enfance

Malheureusement, on semble oublier trop souvent que les pratiques inégalitaires se créent dès le plus jeune âge et que l’école est directement concernée par cette problématique. Parmi les enjeux autour de l’égalité en milieu scolaire, on retrouve les cours de récréation ; un espace qui serait majoritairement occupé par les garçons. En effet, ils s’approprieraient les terrains dessinés sur le sol et situés au centre de la cour, reléguant ainsi les filles sur les côtés. Les garçons joueraient aux sports collectifs, en particulier le football, alors que les filles privilégieraient la marelle, les cordes à sauter ou le jeu 1-2-3 soleil.

C’est le triste constat observé par la géographe Édith Maruéjouls, spécialiste de la question, qui déplorait récemment cette situation dans le Huffington Post : « C’est une vraie discrimination spatiale. Elle n’est pas clairement voulue, elle est implicite, et se déroule invariablement, quel que soit le milieu social ou le quartier. L’idée de départ est de faire bouger les enfants avec ces terrains de sport, mais ils ont été pensés dans une logique masculine, omettant que les garçons étaient davantage éduqués à aimer les sports de ballon que les filles. » Un rapport de l’Unicef, publié en novembre dernier, confirmait cette réalité : la cour de récréation serait « un espace difficile à partager où les jeux des garçons sont le plus souvent priorisés ».

Inventer un espace non genré

Pour faire face à ce problème de mixité et assurer une meilleure égalité entre les filles et les garçons, la ville de Rennes a décidé de fournir des cours de récréation non genrées à ses deux nouveaux groupes scolaires (maternelles et primaires), prévues pour 2023. L’initiative doit s’inspirer de l’expérience menée à Trappes dernièrement. La commune des Yvelines avait décidé de réaménager complètement l’école maternelle Michel-de-Montaigne. Tout avait été fait pour briser les stéréotypes persistants, que ce soit à travers les activités mises en avant ou par le choix de la couleur de la surface ; désormais des toboggans surplombent un terrain synthétique violet. Toutes les cours de récréation de la ville devraient ainsi suivre ce modèle, comme l’a annoncé Thomas Urdy, maire adjoint en charge de l’urbanisme : « Les cours d’école primaire se ressemblent toutes. Des terrains de sport au milieu, des garçons jouant dessus et des filles sur les côtés. C’est pourquoi nous redessinons les cours d’école de la ville de Trappes et c’est plutôt réussi !»

À Rennes, de nombreux changements vont être opérés : des éléments traditionnels comme le terrain de foot à bande blanche sont voués à disparaître. La mairie souhaite plutôt mettre en avant des activités plus fédératrices, et aimerait surtout éviter qu’un espace soit dédié à un usage unique.

Une consultation en cours

Actuellement, Rennes mène une phase de consultation pour déterminer les attentes et définir les meilleurs aménagements à effectuer : « Nous en sommes aux prémices, l’idée est aussi de choisir les activités les moins genrées », précise, à l’AFP, Geneviève Letourneux, conseillère municipale déléguée aux droits des femmes. Menées actuellement par la Direction de l’Éducation et de l’Enfance (DEE), les consultations montrent que les enfants souhaitent toujours pratiquer un sport collectif (football, basket, etc.) mais aussi, jouer « au loup, lire, faire du vélo ou observer des insectes dans l’herbe ». Plus original, ils réclament également des activités qui stimuleraient leur créativité : ainsi, il faudrait « des cours où les enfants pourraient se raconter des histoires », et donc des jeux dont « le design participe à la création d’histoire ».

La mairie a aussi conscience qu’il faudra former le personnel scolaire aux inégalités filles-garçons afin d’améliorer la situation. En effet, c’est une toute nouvelle perception sur la mixité qu’il faut apporter. Car, selon Edith Maruéjouls, celle-ci est, à l’école, « souvent vécue comme une punition : on va mettre un garçon avec les filles pour le punir. Or résoudre la question des violences ou du harcèlement implique de mettre davantage en relation les filles et les garçons. »

L’impact de la réalisation

C’est tout un travail d’éducation à l’égalité filles-garçons qu’il faut mettre en place. Geneviève Letourneux rappelle à l’AFP que : « Les enfants sont imprégnés de l’idée d’une inégale valeur entre ce qui est féminin et masculin » et que « la mixité ne garantit pas l’égalité filles-garçons. » Mais grâce à ces cours de récréation non genrées, on brise l’influence néfaste que celle-ci peut exercer : Edith Maruéjouls dénonce depuis longtemps le fait que les filles soient ainsi dépréciées et reléguées dans les cours de récréation, ce qui a forcément une influence négative sur la perception qu’elles ont d’elles-mêmes, et donc sur leur futur en tant que femme. Cette mise à l’écart préfigure leur invisibilisation dans l’espace public. Mais pour les garçons aussi, l’effet exercé peut être pervers : ils sont contraints d’aimer le foot et, “par voie de conséquence, ces cours provoquent des réflexes homophobes, puisque les garçons qui ne jouent pas au foot se voient du coup traités de filles”, expliquait Edith Maruéjouls à LCI.

Désormais, la situation devrait progressivement évoluer. Outre Rennes et Trappes, des expérimentations ont aussi lieu dans les villes de Bordeaux, Floirac et Lyon. La géographe reconnaît d’ailleurs être de plus en plus sollicitée : « On sent qu’il y a une prise de conscience, les collectivités m’appellent pour me demander : ‘On construit une école, comment on fait?’ ». Mais encore aujourd’hui, ni les enseignants, ni les architectes ne sont formés aux questions de genre. Une situation qu’elle déplore fortement.