L’actualité nous montre que rien n’est encore acquis pour l’égalité femmes-hommes. De nombreuses initiatives sont menées au sein de la société pour améliorer la condition des femmes. Artemisia, une association…
L’actualité nous montre que rien n’est encore acquis pour l’égalité femmes-hommes. De nombreuses initiatives sont menées au sein de la société pour améliorer la condition des femmes. Artemisia, une association de Haute-Garonne a décidé d’agir contre les stéréotypes dès la petite enfance.
Un projet pour l’égalité filles-garçons
Spécialisée dans la promotion de l’égalité femmes-hommes depuis 1997, Artemisia, située à Toulouse, est une association qui propose des études, des formations et des actions pour la promotion de cette égalité à tous les âges de la vie. En 2013, Artemisia décide de lancer un nouveau programme pour les crèches destiné à promouvoir l’égalité filles-garçons dès le plus jeune âge. Le rapport de l’Inspection Générale des affaires sociales, publié cette année-là, note en effet que les stéréotypes genrés commencent dès la naissance et il préconise donc une sensibilisation plus forte sur la question. Artemisia intervenait déjà sur le sujet mais la formule demandait un approfondissement : « On faisait des bilans sur des formations qui étaient courtes ; une ou deux journées.” se rappelle Sophie Collard, la coordinatrice et chargée de mission de l’association. Et ce n’était pas le seul problème : « Une seule personne par crèche suivait le programme. Elle se demandait comment transmettre les informations à son équipe. »
L’association décide de porter le projet de formation sur la durée. C’est à ce moment qu’elle contacte Maryse Jardin-Ladam, alors élue en charge de la petite enfance sous le mandat de Pierre Cohen à Toulouse : « Artemisia est venue me voir pour proposer des formations pour les personnels. En discutant avec le directeur de la petite enfance on a trouvé que le projet correspondait à ce qu’on souhaitait faire. Sur l’égalité, tout le monde en est convaincu mais il faut faire tomber les stéréotypes. Artemisia cherchait des crèches pilotes. On a accepté. On a demandé aux crèches publiques lesquelles voulaient participer au projet. Deux se sont proposées : on a alors informé les familles lors des conseils de crèche qui se réunissaient deux fois par an. »
Une formation en plusieurs étapes
Pour Sophe Collard, Egalicrèche se présente comme “un programme de formation-action : on forme et on agit, on co-construit des solutions à destination des professionnels de la petite enfance sur la question de l’égalité femmes-hommes. » Le programme dure entre 1 an et demi et deux ans et se déroule en plusieurs étapes. Il vise un diagnostic personnalisé et une prise de conscience.
Egalicrèche commence par une phase de consultation : “Avant de mettre en place le projet, on le présente à l’équipe de la crèche mais également aux parents. Dans certaines crèches, beaucoup de parents viennent, dans d’autres moins. » Mais chaque parent est informé par un courrier du projet et peut contacter Artemisia pour en discuter. Ensuite, c’est la phase d’observation : « On commence le projet par un diagnostic. On va dans la crèche, on observe les échanges qui se passent entre les enfants eux-mêmes, entre les enfants et les professionnels, entre les professionnels et les parents. On compte les interactions verbales, les interactions non-verbales, on chronomètre le temps de change des enfants, on chronomètre le temps de paroles adressé aux mères et aux pères.” Les activités de chaque enfant et leurs interactions sont scrupuleusement observés. Au bout de quelques mois : « On analyse les données et on présente les résultats aux équipes. » C’est le moment de prise de conscience. Sophie Collard précise que les problèmes ciblés sont des micro-événements répétés et inconscient de la part des personnels et des parents :”On ne va jamais entendre une professionnelle dire : « ne pleure pas parce que tu es un garçon ou va jouer à la poupée parce que tu es une fille », ce n’est pas ce genre de propos, c’est plus insidieux.” Par exemple, les garçons ont tendance à pleurer plus souvent car cela suscite plus de réactions que lorsque c’est une fille. Les encouragements en direction des garçons sont plus nombreux et les compliments pour les filles sont tournées sur leur physique. « C’est là qu’on met en place des ateliers de mise en pratique autour des jouets ; de la communication avec les enfants, de la communication avec les parents, de l’aménagement de l’espace, de la littérature de jeunesse, etc. » Sophie Collard : “Dans ces ateliers ont réfléchi ensemble et on co-construit des outils. La participation des parents est active. On organise des soirées-débats, des jeux pour démonter les clichés, etc. on met au point des fiches pédagogiques.”
Un bilan très positif
Le projet a été mis en place dans neuf crèches. Aucun soucis majeur n’a été relevé et l’opération est toujours une franche réussite. Pourtant quelques réticences se sont fait connaître lors de la mise en place d’Egalicrèche, notamment à cause du contexte politique. “Il faut dire que le sujet était brûlant et qu’il y a eu des débats houleux” se souvient Maryse Jardin-Ladam. “En 2013, c’était pendant la polémique sur la théorie du genre et le mariage pour tous. Dans un conseil de crèche, il y a eu des parents qui se posaient des questions.” Mais après une sensibilisation sur le sujet et une présentation du projet, les inquiétudes se sont envolées. Il y a eu quelques réticences mais aucune résistance.
Certaines équipes se sont aussi montrées inquiètes par la démarche : “Il est difficile de remettre en cause ses pratiques professionnelles. La phase d’observation est vue comme une évaluation par certains au début. » Mais ils comprennent au fur et à mesure que ce n’est pas leur travail qui est jugé : “C’est un des avantages à faire durer la formation. Ils voient leur propre évolution“. Ils sont aussi acteurs de la formation : ils agissent eux-mêmes pour améliorer l’égalité filles-garçons dans leur crèche.
L’une des autres raisons de la réussite d’Egalicrèche, c’est qu’elle apporte de nouveaux repères égalitaires pour les enfants. Par exemple, un défi demande aux parents de se prendre en photo en train de réaliser une tâche ménagère. Chaque tâche, comme passer l’aspirateur, faire la vaisselle, etc. est accomplie par un homme et une femme pour ainsi montrer aux enfants qu’elles peuvent toutes être accomplie par les deux sexes. A la fin de la formation, une certification est donnée à chaque participant. « On voyage ensemble vers le chemin de l’égalité » explique Sophie Collard, “donc on transmet un passeport-égalicrèche nominatif.” Cela sert à valoriser la démarche et à maintenir les efforts à effectuer. “Chaque enfant doit s’épanouir et être jugé sur sa singularité-propre et non son sexe. Cela permet d’ouvrir le champ des possibles. On doit le définir selon sa personnalité et pas par rapport à des cases“.
Les crèches : un cas difficile à gérer pour les communes ?
Pour mettre en place ce projet, le soutien de la mairie est souvent essentiel : « Généralement, on est en partenariat avec l’élu en charge de la petite enfance et la chef de service petite-enfance de la collectivité qui décide ou non de mettre en place cette action. On présente ensuite le projet à l’ensemble des crèches de cette commune. Ce sont les directeurs et les directrices qui décident s’ils sont partants. Pour les crèches privées ou associatives, c’est elles qui en font la demande. Pour les grands groupes, c’est eux qui nous demandent si une de ses crèches le souhaite.”
Il est ainsi plus simple de mettre en place Egalicrèche dans les crèche privées que publiques. Maryse Jardin-Ladam confirme la difficulté administrative car les formations pour les fonctionnaires sont très encadrées par la CNFPT. Pourtant, grâce à la participation de la CAF, la formule coûte peu aux collectivités.
Elle souligne la difficulté pour les élus de traiter la question : “La petite enfance, ce n’est pas une compétence obligatoire : beaucoup de communes se déchargent sur les associations, et aussi parce qu’une crèche publique, ça coûte très chère et demande un personnel qualifié.” D’où une double réticence à aller plus loin : mettre en place une crèche publique, c’est déjà un effort important et on se demande pourquoi offrir une formation à un personnel compétent.
Bien souvent, la petite enfance est délaissée, dès qu’il est question de budget. C’est ce que déplore Maryse Jardin-Ladam, qui a vu son projet d’Egalicrèche abandonné par la nouvelle mairie en 2014 : “Ils ont préféré diminuer le budget de la petite enfance”. Pour elle, il faut un courage politique pour s’affirmer sur ces questions : “C’est une histoire d’argent, de conviction et de valeurs.”
Les élus au cœur du projet ?
Pour permettre ce genre d’initiative de perdurer, il suffit pourtant de la bonne volonté de la part d’une personne. Sophie Collard en a pour preuve son expérience : « Souvent sur des actions en faveur de l’égalité hommes-femmes, c’est une personne qui est moteur, qui a envie d’agir et qui débloque toute la situation. Les élus ont un rôle très important pour l’égalité, que ce soit pour Egalicrèche comme pour les autres projets que l’on mène. » Et les élus ont un rôle important à jouer car ce sujet demeure très politique. « On remercie les élus qui nous ont soutenus et on essaye de continuer dans cette démarche. C’est une relation importante qui doit se lier entre les élus et les associations“.
Pour Maryse Jardin-Ladam, si le sujet est difficile, il ne faut pas se décourager : “il faut y croire, rester persuadé que l’éducation permet d’aller très loin et d’atteindre plus vite qu’on ne le croit cette égalité. Les élus doivent prendre conscience que ce n’est pas un sujet tabou. Il ne faut pas avoir peur des familles.” Face aux préjugés et aux réticences, il faut faire un travail d’information et de sensibilisation : « Rencontrez les familles, faites du terrain, c’est votre rôle ! »
Car cette action pour l’égalité est efficace : “Elle est positive, même au niveau des familles.” Et elle n’est pas la seule à Toulouse à regretter l’abandon du projet par la mairie : “Les autres équipes qui n’ont pas pu participer ont regretté de ne pas avoir pu en bénéficier.” Depuis la fin du mandat, Maryse Jardin-Ladam a rejoint le conseil d’administration d’Artemisia. Une façon de continuer à agir dans ce combat pour l’égalité qui fait partie intégrante de ses convictions. Il faut continuer la lutte afin de : « donner à tout le monde la possibilité de voir un peu plus loin. Montrer que cette égalité ne sera pas là sans qu’on s’en donne la peine. On pense tous qu’on fait très bien. On ne se rend pas compte de ce que l’on fait et de ce que l’on dit. Nos comportements divergent si on parle à une fille ou un garçon ».
Elle encourage les élus à suivre cette démarche : « Allez-y ! N’ayez pas peur ! On trouve toujours les moyens de financer.” Et elle donne pour exemple deux élus locaux qui veulent essayer le programme dans la crèche d’une petite commune de Haute Garonne. “Cela ne s’adresse pas forcément qu’aux grandes villes. »