Lien social qui se détériore ou qui manque de dynamisme ? Les Systèmes d’Echanges Locaux sont une réponse essentiellement associative mais qui peuvent aussi être impulsée par une commune. L’idée ne…
Lien social qui se détériore ou qui manque de dynamisme ? Les Systèmes d’Echanges Locaux sont une réponse essentiellement associative mais qui peuvent aussi être impulsée par une commune. L’idée ne manque pas d’originalité : trouver une alternative aux échanges monétisés et ainsi mettre des connaissances, la réalisation de travaux onéreux… à la portée de tous, en échange d’un autre service.
Un principe simple
Mouvement né il y a près de 20 ans, les Systèmes d’Echanges Locaux s’inscrivent de plain-pied dans le concept d’économie solidaire et semblent avoir le vent en poupe avec plus de 600 SELs aujourd’hui en France.
Sous la forme d’association, les adhérents vont chercher à développer un système d’échange de produits ou de services construit à côté du système monétaire classique. Ils vont prendre la forme de réseaux à but non lucratif, implantés localement, et qui permettent à leurs membres d’accéder à une offre de services divers allant d’une aide au jardinage ou au bricolage à de la garde d’enfants en passant par du conseil juridique ou des cours d’informatique.
Si l’argent est proscrit des échanges, une “monnaie” est néanmoins présente. Ainsi, à l’instar de la plupart des SELs, celui de la Côte d’Argent de Mimizan (Landes) fonctionne avec une monnaie fictive : les “unités temps”. Le système est très simple : une minute de temps consacrée à rendre service à autrui représente une unité. Si je rends un service pendant 30 minutes, je comptabilise 30 unités temps que je pourrai “dépenser” en cas de besoin.
Tout comme le don suppose un contre-don pour pouvoir fonctionner durablement, celui qui offre quelque chose dans un Sel ne peut le faire que s’il a quelque chose à demander aux autres membres. C’est ce concept de réciprocité qui va engager profondément et durablement les personnes engagées dans la démarche.
Attention cependant, le système des SELs s’éloigne quelque peu du troc à proprement parler. En effet, la charte fournie par le SEL des Grands Lacs explique que « ce système est plus souple que le troc qui demande systématiquement une réciprocité. Il n’est pas nécessaire d’avoir quelque chose à offrir à la personne qui vous donne quelque chose, mais plus tard, à quelqu’un d’autre ». Annik Senmartin, responsable du SEL de Mimizan, précise que « ce n’est pas du troc de personne à personne mais du troc en réseau. Les services se rendent entre adhérents ».
Renouer du lien social
Au cœur de l’initiative se trouve une volonté de renouer du lien social, partant d’un constat amer et récurrent d’une « absence de lien entre les personnes vivant sur un même territoire, entre des personnes vivant sur le même palier et qui ne se parlent pas » nous explique Elian Berger, président du SEL des Grands Lacs de Biscarosse (Landes). Une approche que complète Annik Senmartin soulignant « un souci d’avoir du lien avec les gens, de communiquer, de sortir de l’isolement. Un moyen d’avoir du lien avec des personnes que l’on ne côtoierait pas si l’on n’était pas membre d’une association ».
C’est pourquoi le SEL des Grands Lacs se donne comme « but de développer les relations humaines, la solidarité par des échanges de biens, de savoirs et de services de proximité » dans ses statuts. Par exemple, la mairie de Mimizan n’hésite pas à conseiller aux nouveaux résidents de prendre contact avec les Systèmes d’Echanges Locaux de la commune afin qu’ils puissent déjà nouer des relations, nous explique Annik Senmartin.
Autre aspect, en s’émancipant des échanges impliquant de l’argent, on va essayer de développer de nouveaux modèles d’interaction. Ainsi, le SEL des Grands Lacs vise à « développer et expérimenter une vision transformatrice de la société ». De la même manière, Mme Senmartin explique que les SELS visent « à développer des rapports plus sains car, dès qu’on enlève la relation avec l’argent, cela évite d’avoir de la suspicion, cela ramène de la confiance, le désir de partage ».
Bien souvent, à l’origine de l’initiative, « c’est un groupe de personnes qui se connaissent, de voisins, d’habitants d’un quartier et qui ont déjà “l’esprit du SEL“, l’esprit de partager, de se rendre service les uns les autres ». Cette notion de proximité géographique est centrale « pour pouvoir faciliter les échanges. Il ne faut pas qu’il y ait de grandes distances entre les adhérents pour éviter de tomber dans le piège de perdre du temps ou de l’argent à se déplacer ».
Si une commune a tout intérêt à voir un tel mouvement s’organiser, peut-elle essayer de l’impulser ? Pour Franck Cottereau, coordinateur et gestionnaire administratif de la Maison des Associations de Bergerac (Dordogne), « bien sûr c’est très bien vu le SEL. Cela véhicule des notions d’échange, de partage, de solidarité… mais encourager, c’est compliqué à notre niveau ». En cause, un certain devoir d’égalité ou d’équité de traitement vis-à-vis des associations, mais « il est surtout difficile d’en avantager une par rapport à une autre, d’autant plus lorsqu’on compte plus de 400 associations différentes comme ici à Bergerac ». Dès lors, les services municipaux sont obligés de se cantonner à des rôles « de soutien aux associations dans l’organisation, dans la communication et la promotion des événements. On met à disposition des locaux, du matériel… ».
Un système ambigu ?
Problème, lorsque l’on sort du système “traditionnel” encadré par le droit, on se retrouve dans un cadre légal flou ou peu balisé. Par exemple, lorsque deux voisins réparent le toit d’une voisine en échange d’un service quelconque, celle-ci ne fait donc pas appel à une société de BTP locale. L’activité dans le cadre d’un SEL peut être vue par les entreprises “lésées” comme une forme de concurrence déloyale car les adhérents des SEL ne payent ni charges ni impôts. Certes, il faut une certaine dose de mauvaise foi ou être un requin mais des procès ont bel et bien eu lieu.
Au-delà de la notion de concurrence déloyale, réside une autre ambiguïté dans les services rendus via le système des SEL : ceux-ci peuvent être assimilés à une forme de travail clandestin. En effet, quelques cas de procès pour « travail clandestin » ont touché des adhérents de SEL comme par exemple en Ariège où deux britanniques ont été condamnés à une amende avec sursis pour s’être improvisés couvreurs en échange de produits de la maraîchère biologique à qui ils rendaient ce service. Les artisans professionnels du bâtiment de la Confédération de l’Artisanat et des Petites Entreprises du Bâtiment (CAPEB) et de la Fédération du bâtiment avaient porté plainte dénonçant une concurrence déloyale.
Le droit français est cependant clair d’où la situation relativement ambiguë des SEL : il est en effet admis une exonération de TVA et d’impôts que dans la mesure où le service réalisé est une activité non répétitive et ponctuelle, type « coup de main » et n’entrant pas dans le cadre d’une profession. Si dans le cadre d’un SEL on se livre à une activité répétitive ou entrant dans le cadre de son métier, on se doit de le déclarer aux organismes concernés.
Deux alternatives
Les RERs
Sur le même principe de réciprocité que les SELs, les Réseaux d’Echanges de Savoirs Réciproques se sont également répandus. Si la philosophie de cette forme d’association en est proche, elle s’en distingue par la volonté pédagogique : c’est une démarche d’apprentissage, une alternative pédagogique dans laquelle tous les savoirs sont jugés intéressants a priori, et ne sont pas hiérarchisés.
Les savoirs échangés sont les connaissances, les savoir-faire, les comptes-rendus d’expériences… La durée de l’apprentissage est décidée par les offreurs et demandeurs ensemble. Chacun est invité à donner ses savoirs et à recevoir des savoirs. Le don crée ainsi de la valeur humaine, des relations de reconnaissance réciproque.
Les gratiferias
Etant donné que les SELs ne peuvent être utilisés que de manière très précise dans un réseau de distribution bien défini, le reproche de promouvoir une société close et protectionniste au lieu d’une société ouverte ne manque pas d’une certaine pertinence. Dès lors, une alternative réglant le problème gagne du terrain : les gratiferias.
Le mouvement est beaucoup plus récent, initié en Argentine en 2010, mais connaît un succès rapide dont les SELs pourraient bien être jaloux. Le concept est encore plus simple : se basant sur la gratuité et la notion de don – et non de troc -, il peut se comprendre comme une sorte de marché gratuit, de vide-grenier ou vide-dressing gratuit.
Plus libre et moins contraignante qu’un SEL, la gratiferia propose à tout un chacun de venir déposer des objets dont ils n’ont plus l’utilité, qu’ils acceptent de donner et dont d’autres pourraient avoir l’utilité. N’importe qui peut venir donner et/ou prendre sans obligation, sans payer. L’idée ? Prôner une autre société où la gratuité est mise en avant, où l’on s’émanciperait de l’échange marchant systématique. Un concept qui surprend au premier abord mais qui séduit rapidement en France.