« La moyenne d’âge à l’Assemblée n’a fait que progresser ces trois dernières décennies », « la jeunesse souffre d’un déficit de représentation au Parlement »… Ces critiques, justifiées, d’une…
« La moyenne d’âge à l’Assemblée n’a fait que progresser ces trois dernières décennies », « la jeunesse souffre d’un déficit de représentation au Parlement »… Ces critiques, justifiées, d’une Assemblée Nationale ne laissant guère de place aux jeunes s’étendent aisément à l’ensemble de la vie politique française. Exemple méconnu de ce milieu politique qui ferait la part belle aux « vieux », intéressons-nous au rôle donné au doyen des assemblées.
Des règles juridiques qui favorisent ce phénomène
Dans la lignée du rôle important qu’ont les « sages » dans la plupart des cultures, les doyens des assemblées françaises ont un statut un peu particulier. Ainsi, lors de la plupart des renouvellements d’un exécutif local, le doyen de l’assemblée va présider la séance. C’est le cas lors de l’élection du maire et de ses adjoints par les membres du Conseil Municipal : l’article L 2122-8 du Code Général des Collectivités Territoriales instaure ainsi que « la séance au cours de laquelle il est procédé à l’élection du maire est présidée par le plus âgé des membres du conseil municipal ».
La même règle est appliquée lors de l’élection du Président de l’Assemblée Nationale. Le Bureau d’âge n’est instauré que pour procéder à l’élection du Président, la première séance de la législature est ainsi présidée par le doyen d’âge de l’Assemblée Nationale (ndlr : depuis 2012, il s’agit de François Scellier, député Républicain de la 6e circonscription du Val-d’Oise). Si aucun débat ne peut avoir lieu lors de cette séance, il est en revanche coutume que celui-ci adresse un petit discours à ses collègues, portant sur quelques réflexions inspirées de son expérience de parlementaire.
Intéressant à noter : le doyen est alors assisté des 6 plus jeunes députés qui remplissent les fonctions de secrétaires jusqu’à l’élection du Bureau (ndlr : plus haute autorité collégiale de l’Assemblée, constituée du Président de l’Assemblée, les Vice-présidents, les questeurs…). Si la fonction n’est qu’éphémère, elle est néanmoins un intéressant moyen de mettre en avant les « jeunes » députés.
Dans les Conseils Régionaux, le même principe est appliqué : le doyen préside la séance au cours de laquelle le président et les vice-présidents sont élus. Il est alors assisté du plus jeune conseiller élu. Si, de même qu’à l’Assemblée Nationale, la séance se fait « sans débat », le doyen peut ou non prononcer un discours.
Le doyen est souvent un homme
Cette prévalence donnée au doyen des assemblées est illustrative d’un milieu politique dans lequel les jeunes peuvent avoir bien du mal à se frayer un chemin. Car, si l’âge moyen d’un sénateur ou d’un député est si élevé, c’est aussi avant tout car les jeunes ont du mal à accéder aux mandatures locales !
Ainsi, l’âge moyen d’un député élu (en juin 2012) est de 54 ans et 7 mois, et l’âge moyen des sénateurs est de 61 ans et 9 mois. Dans le même temps, les collectivités locales ne laissent que peu de place aux jeunes :
L’Assemblée Nationale est également très représentative de ces déséquilibres :En 2016, 375 députés sont âgés entre 50 et 70 ans, soit 65 % des élus présents sur les bancs de l’Assemblée. Alors que cette tranche d’âge ne représente que 26 % de la population française totale selon l’INSEE !
Ainsi, alors que seulement 21 députés sont âgés de moins de 40 ans, 88 ont dépassé les 70 ans et 2 ont même dépassé les 80 ans : Messieurs Alfred Marie-Jeanne et François Scellier (doyen de l’Assemblée). Une Assemblée bien peu représentative…
En revanche, mesdames, il va falloir patienter avant de pouvoir voir une doyenne : seules 12 femmes sont présentes parmi les 88 députés les plus âgés, soit 13,6 %…
Des solutions alternatives ?
En parallèle aux demandes de réformes sur le non-cumul des mandats ou d’un âge maximal pour être député qui, pense-t-on, permettraient d’accueillir davantage de femmes et de jeunes élus, le rapport « France Stratégie » remis à Patrick Kanner (ancien ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports) en juin 2015 propose certaines mesures destinées à faciliter l’arrivée des jeunes en politique, nous retiendrons 3 mesures :
La mesure 19 vise à inciter les partis à investir de jeunes candidats aux élections : les partis doivent davantage soutenir les candidatures de jeunes lors de leurs pré-sélections pour les investitures. Alors que la parité a imposé des quotas chiffrés de femmes, l’idée d’en faire de même pour les jeunes est à étudier. L’instauration d’une charte en vue de fixer des objectifs et des critères stricts applicables au moment des investitures aux diverses élections nationales, locales et européennes pourrait aussi être envisageable ;
La mesure 21 a pour objectif de promouvoir le rajeunissement des institutions démocratiques. Comment ? « La question d’une limite d’âge maximal pour se présenter à un mandat parlementaire ou d’élu local mérite d’être posée ». De plus, l’âge minimal pour être éligible au sénat pourrait être abaissé à 18 ans. Le Rapport prône aussi de suivre les mêmes règles qu’au sein des élections des délégués de classe : en cas d’égalité lors des législatives, le plus jeune devrait être élu (ndlr : l’inverse est pour le moment la règle). Enfin, le rapport soulève encore l’éternel question de l’instauration de la proportionnelle lors des élections législatives et sénatoriales ;
La mesure 24 prône l’instauration d’une institution en grande partie réservée aux jeunes (la mesure 25 propose d’instaurer un Parlement des jeunes, tirés au sort), « pour une meilleure prise en compte des intérêts de la jeunesse par le législateur », chargée d’établir rapports et recommandations transmis ensuite aux commissions compétentes qui seraient tenues de les discuter, le cas échéant au moment du débat sur le projet de loi concerné.
Un combat à nuancer tout de même
Il ne faudrait pas qu’une chasse « aux vieux » soit organisée non plus. Si les doyens ont une place privilégiée dans le jeu politique, ça ne part pas forcément d’un mauvais sentiment :
- Si la place accordée au doyen est importante, ce n’est pas pour rien ; il faut rappeler que le plus vieux est logiquement celui qui a le plus d’expérience et qui peut former les jeunes pousses politiques. Le rajeunissement de la classe politique ne doit pas être une volonté irrationnelle qui s’opposerait radicalement à tous ceux qui auraient dépassé une certaine limite d’âge.
- Plus évident encore, les doyens ne sont parfois rien d’autres que d’ « anciens jeunes ». Il faudrait alors se demander si ce n’est pas un cercle vicieux que d’asseoir une volonté de renouvellement politique sur les braises d’une certaine continuité technocratique. Le « changement politique » passerait plus logiquement par des actes novateurs et démocratiques, et peu importe l’âge du représentant politique, plutôt que par un impératif de jeunesse.
- Aussi, intervient un problème un peu plus inquiétant encore. Il semble que lorsque l’on s’engage pour un rajeunissement de la classe politique, on porte moins d’attention aux autres combats tout aussi importants, tels que celui de la parité en politique. En guise d’exemple, le conseil régional Midi-Pyrénées Languedoc Roussillon tente d’établir une idée de binôme avec un doyen associé au plus jeune élu. La question de la parité disparait donc au profit de celle de la priorité à la jeunesse.
Ainsi, comme nous pouvons le voir, des solutions existent pour faire plus de place aux jeunes et pour leur permettre de davantage peser sur le destin de leurs territoires. Encore faudrait-il que les décideurs en place soient prêts à laisser la place aux jeunes motivés… Les citoyens sont en droit de se demander : et si le plus jeune était le référent et non plus le doyen ? La politique assumerait-elle une représentation jeune et alors une nouvelle gouvernance ?