Dernier grand texte économique du quinquennat, le projet de loi Sapin 2 sur la transparence de la vie économique a été adopté définitivement mardi 8 novembre par le Parlement. Alors que le ministre…
Dernier grand texte économique du quinquennat, le projet de loi Sapin 2 sur la transparence de la vie économique a été adopté définitivement mardi 8 novembre par le Parlement. Alors que le ministre des finances, Michel Sapin, annonce que cette loi « proclame l’exigence d’une République exemplaire » et va « hisser la France au niveau des meilleurs standards européens et internationaux » en matière de lutte contre la corruption, qu’en retenir ?
Lutte accrue contre la corruption
Pour faciliter la poursuite d’entreprises en cas de corruption à l’étranger, le texte crée l’infraction de trafic d’influence d’agent public étranger. Comme aux États-Unis, la justice française pourra poursuivre des entreprises étrangères ayant tout ou partie de leur activité économique en France pour des actes de corruption à l’étranger.
Le procureur pourra, « tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement », proposer à une personne morale mise en cause de conclure « une convention judiciaire d’intérêt public » imposant notamment le versement d’une amende. Elle ne devra pas dépasser « 30 % du chiffre d’affaires moyen annuel » des trois dernières années.
Une « Agence française anticorruption » (AFA) va être créée : elle sera chargée de contrôler la mise en place de programmes anti-corruption dans les entreprises dépassant 500 salariés et au chiffre d’affaires supérieur à 100 millions d’euros.
Statuts des lanceurs d’alerte
Le texte prend un virage appelé par beaucoup : il crée enfin un statut du lanceur d’alerte. Celui-ci est dorénavant désigné comme celui qui « révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France (…) de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont (il) a eu personnellement connaissance ».
Sa protection est renforcée contre les représailles, il pourra bénéficier de l’appui du Défenseur des droits. Les entreprises de plus de 50 personnes, les communes de plus de 10 000 habitants et les administrations de l’État devront mettre en place des procédures de recueil des alertes.
Encadrement des lobbies
Les lobbies, incarnations pour beaucoup de la corruption et de la collusion gangrénant la vie politique contemporaine, sont également concernés par cette nouvelle loi de transparence :
- Un répertoire numérique des « représentants d’intérêt » va être créé, sous le contrôle de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Les lobbyistes, mais aussi entreprises, ONG, associations… devront s’y enregistrer pour rencontrer ceux qui participent à la décision publique et la fabrication de la loi : ministres et leur cabinet, parlementaires et leurs collaborateurs, certains hauts fonctionnaires et élus locaux. Le président de la République n’est pas concerné, mais son entourage si ;
- Les lobbyistes devront divulguer le nom de leurs clients et transmettre des bilans, comprenant dépenses et chiffres d’affaires liés à leurs activités. En cas de manquement, les représentants d’intérêts s’exposeront à des peines allant jusqu’à un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende ;
- Les partis et candidats aux élections devront faire la transparence sur l’origine et les montants de leurs emprunts ;
- La Haute Autorité doit vérifier la situation fiscale de tout membre du gouvernement, en cas d’anomalie elle devra informer le président de la République et le Premier ministre.
Transparence des entreprises et des rémunérations
Les assemblées générales d’actionnaires devront donner leur feu vert aux rémunérations des dirigeants, sur les « éléments fixes, variables et exceptionnels » ainsi que les « avantages de toute nature », attribuables aux présidents, directeurs généraux ou directeurs généraux délégués, au moins chaque année et lors de toute modification.
Chaque pays à une obligation de reporting financier public (nombre de salariés, chiffre d’affaires, impôts sur les bénéfices, etc.) pour les multinationales, sous certaines conditions. Celle-ci n’entrera en vigueur qu’après l’adoption d’une directive européenne similaire et au plus tard au 1er janvier 2018. Ces données seront publiées en open data.
Banque et assurances
Il sera possible d’affecter une partie du livret de développement durable (LDD) à l’économie solidaire. La publicité sera interdite pour les sites internet proposant des instruments financiers très risqués. La résiliation annuelle de l’assurance emprunteur sera possible pour les consommateurs.
Point négatif
La transparence sur les frais de représentation des députés attendra encore. Pour rappel, l’Indemnité représentative de frais de mandat ou IRFM est une indemnité touchée par chaque député et chaque sénateur en France pour couvrir leurs frais de représentation. Elle ne fait l’objet d’aucun contrôle, n’est pas imposable et peut servir à couvrir tout type de dépense : habillement, restauration, achat immobilier, voyage. Ainsi, alors que l’IRFM est censée couvrir les frais de représentation, elle est utilisée légalement à d’autres fins : l’enrichissement personnel mais aussi le financement de partis politiques.
L’amendement proposait de fiscaliser la part de l’IRFM (6 412 euros par mois) non utilisée à des fins professionnelles. L’adoption de cette proposition aurait alors impliqué que les parlementaires fournissent à l’administration fiscale des justificatifs de leur frais pour qu’elle puisse déterminer ce qui devait ou non échapper à l’impôt sur le revenu. Ils n’en voulaient pas et l’ont fait savoir en votant contre en séance.
A une heure où l’image des politiques est particulièrement désastreuse, tout rejet d’une plus grande transparence est un bien mauvais signe envoyé aux citoyens…
En résumé, ce nouvel arsenal anticorruption veut s’inscrire dans un vrai virage à gauche prévoyant notamment de nouvelles infractions pour punir les faits de corruption transnationale, la création d’une agence anticorruption, ainsi qu’un statut protecteur pour les lanceurs d’alerte.
Il met en place également un encadrement des représentants d’intérêts via un répertoire commun à l’exécutif et au législatif.