La démocratie participative présente de forts atouts mais ne se répand pourtant que lentement. Pourquoi ? Par crainte des élu.e.s…

Bouleversant les pratiques traditionnelles, la démocratie participative se répand sous l’impulsion d’élu(e)s convaincu(e)s mais met du temps à s’imposer malgré de brillants atouts. Pourquoi ? Fort de ses dix années d’expérience, Gilles-Laurent Rayssac, président du cabinet spécialisé dans la concertation Res Publica nous livre des éléments de réponse.

Vers un nouveau rôle pour l’élu

A Saint-Grégoire (près de Rennes), l’important projet de réaménagement d’une partie du centre-bourg a décidé le maire de mener une démarche de concertation. Pourquoi ? « Le maire estimait que la trentaine d’élus municipaux ne pouvaient pas tous seuls décider de l’avenir de ce morceau de ville d’autant plus que le projet aura un impact sur les prochaines décennies ville, explique Gilles-Laurent Rayssac dont le maire a sollicité l’accompagnement. Il souhaitait impliquer dans la réflexion la population ».

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Certains pourraient rétorquer qu’opérer ce réaménagement relevait pourtant justement des prérogatives des élus ! La démarche de concertation est ainsi venue au contraire redistribuer les cartes.

Cette redistribution des rôles illustre le positif recul des pratiques politiques traditionnelles issues du jacobinisme selon Gilles-Laurent Rayssac. La vision selon laquelle « seuls les élus savent ce qu’il faut faire et sont capables de définir l’intérêt général a pu donner des bons résultats mais a aussi bloqué des choses, explique-t-il. Aujourd’hui, les pratiques évoluent et la démocratie participative permet de replacer l’élu davantage dans un rôle d’animateur que de décideur solitaire. Forcément, cela va dans le bon sens ».

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La démocratie participative fait évoluer le rôle de l’élu(e) : il reste décisionnaire final mais doit aussi animer le débat public

En revanche, si l’élu(e) voit son rôle évoluer par la démocratie participative, il doit demeurer le décideur final estime Gilles-Laurent Rayssac. En effet, « la concertation n’empêche jamais l’élu(e) de prendre ses responsabilités. Au contraire, cela clarifie ses responsabilités ». Ainsi, à l’issue des démarches de concertation, « il y a un choix qui doit être fait parmi toutes les propositions issues des discussions. Lorsque des orientations font consensus, c’est facile. Mais, en cas de désaccord, c’est le rôle de l’élu(e) de trancher ».

Un remède à la crise politique actuelle ?

Désintérêt vis-à-vis de la politique locale voire nationale et abstention grandissante lors des élections sont nourris par de récurrents scandales ou affaires moralement douteuses touchant des élu(e)s, député(e)s ou ministres. Oui, la démocratie représentative semble aujourd’hui bien malade.

La démocratie participative s’impose pour beaucoup comme un bon remède pour deux raisons. Tout d’abord, principal argument de ses partisans, celle-ci permettrait de multiplier les points de vue et d’ainsi affiner les projets municipaux, améliorant de fait l’action publique.

En effet, selon M. Rayssac, l’intérêt de la concertation « réside dans la capacité à organiser des discussions utiles pour des projets, qui permettent d’apporter une ressource complémentaire de façon à ce que le projet soit plus pertinent et plus utile ».

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Principal argument de ses partisans, la démocratie participative permet de multiplier les avis et affiner l’action publique

Ensuite, la concertation va aussi permettre d’apporter de la lisibilité à l’action politique car « elle permet de faire en sorte que le projet soit mieux compris par la population et corresponde mieux à ses attentes ».

Ainsi, la redistribution des rôles induite par la démocratie participative permettrait d’apporter un second souffle à la démocratie représentative car elle reconnecterait les différents acteurs de la vie politique locale, permettant une optimisation de l’action publique. « Tout ce qui permet d’organiser mieux le dialogue entre les élus, les administrés et les techniciens va permettre que le travail politique soit mieux adapté à ce qu’attendent les gens du fonctionnement d’une collectivité » affirme le président de Res Publica.

Des démarches exigeantes qui font peur

Dès lors, pourquoi de telles démarches ne sont pas généralisées ? Contrairement au cliché de l’élu gardant jalousement ses prérogatives, Gilles-Laurent Rayssac estime plutôt que « les élus craignent beaucoup que cela ne marche pas. Ils ont très peur que l’on réunisse les gens, que cela ne serve pas à grand-chose ou que les gens n’osent pas s’exprimer ». Cette crainte viendrait du fait « qu’ils ne savent pas comment organiser une réflexion avec plusieurs personnes voire centaines de personnes en même temps ». D’où le besoin de se faire accompagner par des cabinets spécialisés.

Autre frein récurrent, les collectivités organisent encore trop souvent la concertation trop tard selon M. Rayssac. En effet, « lorsqu’ils présentent un dossier en concertation, cela fait souvent déjà plusieurs mois qu’agents et élus travaillent sur le dossier. Ils le connaissent par cœur et commencent à penser avoir trouver la bonne solution, explique-t-il. Ils sont donc très déstabilisés lorsque des gens qui connaissent moins bien le dossier qu’eux leur font des remarques pertinentes auxquelles ils n’avaient pas pensé ».

« Les réunions sont souvent organisées à un moment où élus et techniciens sont beaucoup moins ouverts aux avis extérieurs que s’ils les avaient organisées plus en amont »

Dernier frein, « à l’issue d’un processus de concertation, l’élu(e) se retrouve de façon très évidente seul(e) face à la décision. Or, il y a des fois où ce n’est pas facile de prendre une décision et il faudra la justifier ». En effet, une fois que plusieurs orientations claires ont émergé suite à la concertation, une décision politique forte doit être prise. Une situation qui rebute certains élus qui parfois organisent alors des processus de concertation dans le seul but de gagner du temps, note Gilles-Laurent Rayssac.

Bien organiser sa démarche pour être efficace

Partant de ces inquiétudes, Gilles-Laurent Rayssac a pu établir une méthodologie en trois temps de la concertation dont peuvent s’inspirer élus et services.

  • « Temps de la mise en débat du projet » : les organisateurs vont devoir être attentifs à la préparation du « dialogue entre la population dans ses différentes composantes, les techniciens et les élus ». Cette étape exige que le projet soit déjà suffisamment cadré : « en quoi le projet a-t-il un impact sur la population ? De quoi les personnes concernées veulent discuter ? Quels sont les sujets d’attention sur lesquels travailler ensemble ?… ».

Idéalement, cette étape doit se faire le plus en amont possible « avant que qui que ce soit ait pu se faire une idée définitive de ce que devrait être le dossier, prévient le président de Res Publica. Ainsi, élus, techniciens et administrés vont avancer ensemble et au même rythme sur la réflexion ».

  • « Mobilisation des participants» : il faut communiquer pour prévenir la population, insister sur les raisons des réunions, sur les enjeux, assurer que les réunions auront un impact car « les gens ne vont pas venir parce qu’il y a une réunion, il faut leur donner envie de se déplacer ».
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Organiser la concertation demande de l’organisation et du temps. Certains renoncent donc à se lancer
  • Animation des débats : il faut « faire en sorte que les gens puissent s’exprimer, que cela soit un temps de travail pendant lequel on va demander aux participants de faire un effort, d’avoir une réflexion individuelle et collective sur un sujet donné, préparé à l’avance afin que les porteurs des projets aient une information claire et lisible ».

Comment assurer un temps de parole égal à tous ?

Selon M. Rayssac, « la réunion publique traditionnelle sous forme de meeting avec quelqu’un qui parle sur une estrade et les participants assis les uns derrière les autres dans la salle ne favorise pas le débat ». Il faut donc trouver des formes de réunions qui permettent à chacun de s’exprimer.

Le consultant recommande fortement de privilégier les réunions organisées par petits ateliers de travail afin d’encourager le débat dans la salle et non entre la salle et la tribune. « Pour favoriser le travail collectif, nous organisons les participants en tables de 8 à 10 personnes avec un temps d’exposé pendant lequel nous leur donnons des informations, puis un temps de travail par table avec un certain nombre de questions que nous leur posons et auxquelles nous attendons qu’ils répondent collectivement, détaille-t-il. Enfin, il y a un temps de mise en commun des travaux par table ».

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Pour favoriser le débat et l’expression de tous, optez pour des réunions sous forme d’ateliers de travail

Ce type de format est le plus favorable aux échanges selon Gilles-Laurent Rayssac, certifiant « que 100 % des présents ont pris la parole » dans de telles réunions.

De plus, cette méthode de travail permet « d’aider les gens à rentrer dans le dossier : dans beaucoup de réunions publiques traditionnelles, les gens ne savent pas quoi répondre car on ne leur montre pas comment rentrer dans le dossier ».

Si aujourd’hui la démocratie participative gagne progressivement de plus en plus de partisans, M. Rayssac douche rapidement tout enthousiasme triomphaliste. S’il est certain qu’il y a « davantage d’élus qui se lancent dans de telles démarches par conviction qu’il y a 10 ans, il est évident qu’il y aurait beaucoup moins de processus de concertation sans les obligations réglementaires actuelles ». Une manière de souligner que les vieilles pratiques, frustrant un nombre grandissant d’administrés, sont encore trop répandues.