Interview avec la députée Audrey Linkenheld qui connaît bien les politiques de logements et les enjeux de l’habitat sur les territoires

Politiques de logements et enjeux de l’habitat sur les territoires : la députée Audrey Linkenheld connaît bien ces sujets pour lesquels elle se positionne à l’Assemblée Nationale et au sein de la municipalité de Lille. Députée du Nord, elle est notamment rapporteure de la loi ALUR ainsi que conseillère municipale déléguée au logement à Lille. Sa vision affûtée sur les enjeux du logement lui permet d’orienter les politiques à mener et d’apporter des éléments de réponse aux élus locaux. Entretien.

Quels sont les grands enjeux du logement pour les prochaines années ?

Audrey Linkenheld : Le premier enjeu est de répondre au manque de logements socialement accessibles au plus grand nombre et équitablement répartis sur le territoire. Il y actuellement 1,9 million de demandeurs de logements sociaux en France, 4 millions de mal-logés et la part du revenu des ménages consacrée au logement a augmenté de 50% sur 25 ans. La difficulté à se loger pèse sur la qualité de vie de nombreuses familles, notamment dans les zones tendues.

Le logement rare et cher a aussi été un frein économique pour tout le secteur du bâtiment. Au-delà, cette crise du logement créé un problème de compétitivité pour l’économie toute entière, par les ressources des ménages trop utilisées à se loger et par les blocages à la mobilité professionnelle induits.

Depuis 2015, la construction de logements de tous types (locatifs sociaux, locatifs libres et accession) a redémarré grâce aux mesures de régulation et de relance mises en œuvre dès 2012 :

• une politique volontaire de l’État en matière de construction de logement social : application stricte de la loi SRU renforcée par la loi de 2013 dont je suis rapporteure avec la mise à disposition de terrains publics, le passage d’un minimum de 20 % de logements sociaux en 2020 à 25 % en 2025, l’augmentation des pénalités pour les communes qui refusent et le rôle accru des préfets ;
• Des soutiens nouveaux pour le logement social : des prêts de haut de bilan par la Caisse des Dépôts, baisse du taux de commissionnement des banques pour le Livret A, mutualisation des ressources des bailleurs,…
• Des nouveaux dispositifs financiers en faveur de l’accession : des aides pour l’accession sociale à la propriété autour des quartiers de la politique de la ville (TVA à 5,5%), l’extension du Prêt à Taux Zéro (PTZ) pour les quotités et pour l’achat sous conditions de travaux dans l’ancien, le dispositif Duflot-Pinel d’investissement locatif recentré, la création d’une nouvelle catégorie de logements pour les classes moyennes (logement intermédiaire),…

Ces mesures de régulation prises depuis 2012 (et notamment la loi ALUR dont je suis également rapporteure) n’ont pas bloqué le marché comme menaçaient certains, preuve en est le redressement de la production depuis 2015. Au contraire, l’encadrement des loyers ou la limitation des honoraires des agences immobilières ont redonné du pouvoir d’achat aux ménages et amélioré la fluidité des parcours.

Il conviendra pour la nouvelle majorité de préserver et d’amplifier cette politique.

Quels sont les axes d’amélioration ou de développement pour les collectivités sur les politiques d’habitat et d’aménagement ?

Audrey Linkenheld : Dans les secteurs tendus, notamment les grandes agglomérations, les principaux verrous résident dans l’acceptation de constructions nouvelles et dans la disponibilité du foncier. Or, jusqu’ici, un mécanisme auto-entretenu entre certains habitants et élus engendre des replis sur soi néfastes à la collectivité. Ainsi, la nécessité de construire suffisamment de logements abordables, en fonction des besoins de chaque territoires rend indispensable un état local fort, pour qu’il soit un facilitateur des projets de développement. Il faudra donc poursuivre les efforts entrepris durant ce quinquennat à cet égard.

Au-delà, l’obligation de logements locatifs sociaux dans toute construction dans les communes déficitaires (à partir d’une certaine taille d’opération et hors QPV) sera portée à 30 % minimum. La dynamique engagée de cessions du foncier public avec décote devra être encore accélérée. De nombreuses cessions n’ont pu voir le jour faute de projet porté par les communes. En cas de blocage persistant, l’État se substituera pour élaborer un projet et permettre sa réalisation, avec des outils d’urbanisme exceptionnels (procédure intégrée pour le logement, le projet d’intérêt général).

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La création de zones de mobilisation foncière pour lutter contre la rétention et la spéculation s’inscrit dans le même objectif. Dans les zones les plus tendues, les terrains constructibles non utilisés doivent être construits à moyen terme et ce sont les collectivités qui définiront les parties de leur territoire sur lesquelles des opérations doivent se réaliser dans une durée limitée.

Les collectivités doivent par ailleurs se saisir davantage des dispositions votées dans les lois Alur et Égalité et citoyenneté en termes d’attributions de logements sociaux pour contribuer à un meilleur équilibre des territoires. La transparence dans les attributions qui doit se développer pourra prendre plusieurs formes, suivant la réalité des situations, notamment par les systèmes de cotation.

Enfin, la dissociation entre la propriété du foncier et celle du bâti doit être développée. Les dispositifs innovants, bail réel solidaire et organismes de foncier solidaire, permettent, en maîtrisant et neutralisant la valeur foncière, l’acquisition par les classes moyennes dans les zones tendues et la régulation des prix dans le secteur locatif, comme le montrent les expérimentations en cours à Lille notamment.

Quels sont vos conseils aux élus locaux pour qu’ils soutiennent le développement des logements de leur territoire ?

Audrey Linkenheld : L’articulation entre une politique et des objectifs nationaux d’un côté et une déclinaison différenciée entre les territoires de l’autre, dans un cadre financier et un environnement législatif stables, devra encore être améliorée. La gouvernance du logement sera donc au cœur de l’action des territoires avec des PLH aux objectifs évaluables et conçus comme des outils de pilotage locaux développant une véritable stratégie foncière, avec un État installé comme pleinement régulateur entre une politique nationale et les spécificités des territoires, avec une gouvernance citoyenne locale dans l’élaboration des documents de programmation.

Les élus locaux bénéficieront également de nouvelles mesures pour les aider à construire des logements sur leur territoire.

Tout d’abord, les aides à la pierre devraient atteindre 1 milliard d’euros par an (300 M€ crédits État classiques, 400 M€ provenant de la baisse progressive du coût du Scellier, des apports de la Contribution de solidarité urbaine et de la décote dans les cessions du foncier public, 270 M€ bailleurs sociaux, 30 M€ des pénalités SRU).

Enfin, les maires bâtisseurs seront davantage aidés pour financer leurs équipements. Les équipements nouveaux induits par les opérations de construction de logements (écoles, parcs, terrains de sport) restent aujourd’hui largement à la charge des communes, car les opérations d’aménagement, notamment en raison du coût du foncier dans les zones tendues, ne permettent pas de dégager l’excédent nécessaire à leur financement. L’accueil de nouveaux ménages dans un quartier doit s’accompagner pour les habitants déjà résidents de services publics locaux renforcés. Ainsi, afin d’encourager les maires bâtisseurs et d’alléger la pression fiscale sur ces communes, une partie de la dotation globale de fonctionnement sera modulée en fonction des constructions de logements et du respect de leurs objectifs inscrits dans les PLH.

Madame la députée, chère Audrey, merci pour ces éléments !


Audrey Linkenheld est députée du Nord et conseillère municipale en charge du logement à Lille. Après avoir été secrétaire nationale du Mouvement des Jeunes Socialistes chargée de la formation en 1998 et 1999, elle rejoint en 2003 le Comité de Ville de Lille dont elle a été trésorière puis responsable en février 2009 et rejoint, plus tard, le Parti Socialiste comme chargée d’étude. En 2001, Audrey Linkenheld devient conseillère économique au cabinet de Martine Aubry à Lille et devient, deux ans après, la directrice du même cabinet. C’est en 2008, qu’elle passe du côté politique locale en devenant Adjointe à la Maire de Lille.

Le PS l’investit et Audrey Linkenheld devient députée du Nord en 2012. A l’Assemblée Nationale, la députée siège aux commissions affaires économiques et aux affaires européennes. Elle est également membre du groupe d’étude sur la construction et le logement, ainsi que celui sur l’économie sociale et solidaire, sur l’économie circulaire. Audrey Linkenheld a été rapporteure de la loi Duflot et de la loi Alur.