Si l’on veut considérer les enjeux d’égalité de genre dans l’urbanisme, la question de l’habitat se pose très vite !

Si l’on veut considérer les enjeux d’égalité de genre dans l’urbanisme, la question de l’habitat se pose très vite. Un grand champ de la recherche en la matière considère que le logement contribue à la reproduction des identités de genre. En effet, il participe à la composition des rapports de pouvoir entre les femmes et les hommes. L’habitat, perçu comme un des signaux essentiels de l’urbanisme, prescrit donc des rôles genrés, et par conséquent cristallise les inégalités. Par effet inverse, on peut considérer qu’une autre conception permettrait d’en faire un levier de l’égalité femmes-hommes. Mais alors comment faire ?

Un secteur sous représenté, des logements inégalitaires

Un premier problème à résoudre est celui de la participation des femmes à la conception de l’habitat. Aujourd’hui, on estime que la part des femmes ne représente que 12% des professionnel.le.s du secteur du bâtiment. Selon les chiffres de la Fédération Française du Bâtiment, les femmes représentent 46.2% des employé.e.s et technicien.ne.s, 1.5% des ouvrier.ère.s, et 18.4% des cadres. Cette sous-représentation a des effets sur la manière de penser l’habitat. Et pourtant, cela ne paraît pas évident au premier abord étant donné l’ancrage des modèles habituels de l’habitat.

Isabelle et Laura Biaud, étudiantes en master 2 de Stratégies Territoriales et Urbaines et spécialisées sur les questions de genre dans l’habitat, nous donnent quelques exemples. “Le problème avec la conception du logement, c’est que les données relatives à la répartition des tâches ne sont pas, ou sont peu prises en compte”, explique Isabelle Imhof. La parité dans les métiers du bâtiment, si elle peut participer à l’amélioration des conceptions de l’habitat, ne suffit donc pas complètement, et doit s’accompagner d’une réflexion sur les perspectives de genre.

Un défaut qui prend forme dès la conception

La question de l’inclusivité peut aussi trouver des pistes de réponses du côté de la modulabilité du logement. “Concevoir un habitat inclusif c’est avant tout laisser les personnes s’approprier leur espace et le moduler de telle sorte qu’elles ne subissent pas une conception totalement imposée”, analyse Laura Biaud.

Un autre élément à prendre en compte est le fait que les femmes passent, encore aujourd’hui, plus de temps à leur domicile que les hommes. Améliorer la qualité de l’habitat peut donc faire partie d’une stratégie pour un logement plus égalitaire. En outre, il peut être intéressant d’encourager la solidarité et le partage : “les logements collectifs, participatifs ou non, sont une solution à ne pas négliger”, explique Isabelle Imhof. “Ca peut aussi être des aménagements tels que la buanderie sur le toit de Frauen Werk Stadt”.

Le quartier Frauen Werk Stadt, à Vienne, fait en effet office d’exemple à suivre dans le domaine. A l’intérieur, les couloirs et les escaliers sont larges, et l’architecture est faite de telle sorte que c’est la lumière extérieure qui éclaire ces espaces. Les étages sont composés de quatre logements chacun, pour encourager la proximité et éviter l’anonymat. Enfin, les machines à laver sont situées sur un toit-terrasse, pour rendre la lessive plus agréable, mais aussi pour encourager les personnes moins habituées à remplir cette tâche – de fait surtout des hommes – à se lancer.

Par ailleurs, des projets qui n’étaient pas initialement pensés pour être inclusifs remplissent certains de ces critères. Par exemple, le projet d’HLM de Jean Nouvel à Nîmes. “Ce projet n’a pas été initialement pensé à travers une perspective de genre, soulève Laura Biaud, mais le fait de mettre l’accent sur les espaces circulatoires et collectifs, de mettre à disposition des terrasses, ou de garantir un logement à bas prix, répond aux besoins de toutes et tous”. Sur cette dimension économique, Isabelle Imhof précise : “les femmes sont plus précaires que les hommes, il y a plus de mères de famille monoparentale que de pères, elles ont davantage de temps partiels et touchent des salaires moins élevés, elles sont plus âgées car vivent plus longtemps en moyenne… la question du prix des logements est donc un paramètre très important”.

Un chemin encore long à tracer

La question de l’habitat sensible au genre, dans le débat public, semble rester dans l’ombre de la question de l’espace public. Pour Isabelle Imhof, “cela est dû au fait qu’on ne voit pas au premier abord les différences de besoins à l’intérieur des logements”. On peut tout de même noter une progressive augmentation de la participation des femmes dans la conception du logement, de bonne augure pour la suite. Mais cette évolution suffit-elle ? : “Il y a du chemin à faire, remarque Laura Biaud, et le principal risque serait de tomber dans les stéréotypes de genre : un immeuble inclusif n’est pas un immeuble dont le hall est peint en rose”.

Dans la même optique, la conception de l’habitat gagnerait à développer une réflexion intersectionnelle pour rendre compte de toutes les formes de discrimination : le genre, mais aussi l’appartenance ethno-raciale, l’âge, l’orientation sexuelle, ou encore un éventuel handicap. Laura Biaud insiste : “il faut prendre en compte l’ensemble des formes de discriminations et de domination présentes dans nos sociétés pour pouvoir proposer des conceptions plus inclusives”.

Le sujet, on le voit, est bel et bien d’actualité, et les élu.e.s sont en mesure de s’en emparer, en encourageant une réflexion sur les formes de discrimination et de domination dans le processus même de conception de l’habitat, pour non seulement empêcher le logement d’être le cristallisateur des inégalités, mais aussi pour en faire un moteur de la réduction des inégalités.