En deux décennies, Françoise Cartron aura gravi les nombreux échelons de la vie politique locale : de maire à sénatrice !

En deux décennies, Françoise Cartron aura gravi les nombreux échelons de la vie politique locale : de maire à sénatrice, son expérience est riche et un livre retraçant sa vie a été publié récemment. La sénatrice de la Gironde a bien voulu nous parler de son parcours, évoquer les problématiques liées à la parité ainsi que les enjeux autour de la prochaine réforme du statut de l’élu local.

« Françoise Cartron, une femme au Sénat »

Publié le 15 mai dernier, l’ouvrage « Françoise Cartron, une femme au Sénat » retrace le parcours atypique, sous forme d’entretien, de cette élue girondine. A l’origine du projet, se trouve la maison d’édition Les Dossiers d’Aquitaine qui propose la collection Ma vie, Mon œuvre : « C’est une série de portraits de politiques qui ont marqué l’empreinte du département de la Gironde » explique la sénatrice Françoise Cartron. « Jusque-là, la collection comptait cinq livres pour cinq hommes. Ils m’ont appelée en me demandant si je souhaitais faire partie de cette collection. Il faut donc faire cinq hommes pour arriver à une femme ! » plaisante celle qui n’a pas hésité à se soumettre aux questions d’Hervé Mathurin, journaliste de Sud-Ouest. En effet, « ce livre permet de faire une pause, de prendre du recul, de regarder le chemin parcouru. C’est très salutaire et ça permet de garder une trace. »

Si le choix de l’éditeur s’est porté sur Françoise Cartron, ce n’est pas un hasard car elle a su progressivement franchir tous les échelons des mandats locaux : « Le livre évoque mon enfance, mon métier d’enseignante, mon mandat de maire d’Artigues, une ville de l’agglomération bordelaise, ma vice-présidence à la région Aquitaine et enfin mon élection au Sénat. C’est un parcours totalement imprévu et improbable ! »

Un parcours politique « imprévu et improbable »

Françoise Cartron aura réalisé un parfait cursus honorum, dépassant de loin ses espérances : « C’est ça qui est intéressant ; comment en ayant rien planifié, on devient vice-présidente au Sénat. » Car, à l’origine, Françoise Cartron n’était pas prédisposée à une telle carrière politique : « Je suis partie sans réseau. Je n’avais pas de famille. J’étais enseignante, donc je n’avais pas fait d’études en sciences politiques et je ne venais pas du monde politique. C’est un concours de circonstances et de hasards qui me conduisent là. »

En effet, tout commence avec l’absence de candidat socialiste dans sa ville, en 1995 : « Personne ne voulait se présenter à la mairie d’Artigues car le maire était en place depuis des décennies et on le pensait indéboulonnable. Les choses se sont ensuite enchaînées. » Seconde sur la liste d’Alain Rousset en 1998, elle accède au Conseil régional où elle devient vice-présidente de la région Aquitaine jusqu’en 2008. En 2001 elle devient aussi vice-présidente de la Communauté urbaine de Bordeaux, fonction qu’elle occupe jusqu’en 2014. Le point d’orgue de sa carrière arrive en 2008, lorsqu’elle accède au Sénat. Là encore, elle souligne le contexte favorable : « Pour la première fois en 2008, les listes sont devenues paritaires. Auparavant, elles ne l’étaient pas. Cela imposait au Parti socialiste de trouver une femme et leur choix s’est porté sur moi car quand j’ai été élue maire d’Artigues, j’étais la seule femme de Gironde, maire d’une commune de plus de 6.000 habitants. Nous n’étions que trois femmes dans ce cas en Aquitaine ! » Au Sénat, elle occupe la fonction de vice-présidente de 2014 à 2017.

Les lois paritaires, une nécessité

Françoise Cartron fait un parallèle entre sa carrière et la condition des femmes : « Il y a un fil rouge dans mon parcours qui est l’entrée et la place des femmes en politique. Soyons clairs, c’est parce qu’aucun homme ne voulait se présenter à la mairie d’Artigues que j’ai pu y aller. » Pour elle, les lois paritaires ont été une réussite autant qu’une nécessité. La preuve, « même ceux qui ont milité contre reconnaissent que s’il n’y avait pas eu la loi, nous n’aurions pas progressé. » Malgré tout, le plafond de verre est toujours là : « certains problèmes persistent car les partis arrivent à contourner les règles. » Le combat doit donc continuer : « Le chantier n’est jamais fini. Les listes municipales sont paritaires mais dans les intercommunalités, il n’y a pas d’obligation de parité. On le voit car il y a très peu de femmes vice-présidentes. Cela prouve que sans la loi, les choses n’avancent pas. »

Selon son expérience, c’est avant tout les partis qui bloquent la parité, davantage que la société dans son ensemble : « Quand j’ai été candidate à la mairie d’Artigues en 1995, tout le monde pensait que ce n’était pas possible pour une femme de gagner. Mais les électeurs ont voté pour moi, ça ne leur a pas posé de problème. Ils étaient plus en avance que les partis politiques. » Adhérente au PS pendant des décennies, avant de rejoindre récemment LREM, elle concède que la question outrepasse en grande partie le clivage politique : « La gauche dit qu’elle est pour la parité, mais elle a eu du mal à l’appliquer. La droite a au moins eu le courage d’admettre qu’elle était contre », même si elle reconnaît les avancées de son camp d’alors : « C’est un homme de gauche, courageux, Lionel Jospin, qui a mis en place la parité, malgré tous les écueils. Il faut le reconnaître. »

Les hommes et leur rapport au pouvoir

Pour Françoise Cartron, les difficultés rencontrées par la parité s’expliquent parfaitement : « C’est une question de pouvoir et cela se retrouve aussi dans les grandes entreprises ; dès qu’une femmes se retrouve à des postes de responsabilités, les hommes se sentent infériorisés et ils ont beaucoup de mal à l’accepter. C’est certes lié aux partis politiques, mais il est surtout question du rapport des hommes au pouvoir. Dans la société, on retrouve ce problème partout où il y a un enjeu de pouvoir. » En cela, les dernières années ont été un véritable « bouleversement dans l’Histoire : jusque-là, c’était rare qu’une femme puisse diriger. » Mais il faut encore du temps pour que tout le monde l’accepte car culturellement, le pouvoir et l’ambition restent toujours étroitement associés aux hommes.

Ce rapport biaisé des hommes au pouvoir n’a pas qu’une incidence sur les élections… Il existe aussi un manque de reconnaissance et de légitimité pour les femmes élues : les hommes leur font des reproches dès qu’elles ont des responsabilités, ce qui n’était pas forcément le cas auparavant. Françoise Cartron a pu faire le constat de ce changement d’attitude : « Avant que je me présente, j’étais extraordinaire pour les hommes : volontaire, courageuse ; j’avais toutes les qualités. Et quand je suis venue dans leur domaine, j’étais trop emportée, en manque de maîtrise ; j’avais tous les défauts. »

Pour Françoise Cartron, le style des femmes au pouvoir est différent de celui des hommes, ce qui est une bonne chose : « Il y a aussi une façon de faire différente. Et je pense qu’il ne faut pas singer les hommes. Il faut faire avec ce qu’on est, comme on est. C’est ça la diversité de la société. »

Le statut de l’élu ; ce qu’il faut changer

Enseignante avant d’être femme politique, Françoise Cartron a fini par interrompre sa carrière professionnelle : « J’ai arrêté en 1998 quand j’ai été élue au conseil régional d’Aquitaine. Auparavant, quand j’étais maire, j’ai continué. » Pour elle, il est très difficile de concilier mandat et métier car « la fonction d’élu est une fonction qui n’a pas d’horaire. Il faut avoir un métier qui vous laisse une certaine disponibilité et vous permette d’adapter vos horaires. Moi, par exemple, je n’arrivais à la mairie que le soir à 17h, après la classe. C’était très compliqué. »

Actuellement, le Sénat engage une véritable réflexion sur le statut de l’élu local. Pour Françoise Cartron, « il faut pouvoir donner les conditions nécessaires pour que les élus puissent soit aménager leurs heures, soit se mettre à mi-temps. » C’est un problème qui concerne « en particulier, les élus des petites et moyennes communes, dont la rémunération est faible. Là, c’est impossible, on ne peut pas s’arrêter de travailler. Et paradoxalement, c’est dans les petites communes que le maire est le plus corvéable, où on va l’appeler pour tout. » Pas étonnant alors que ce sont ces communes qui soient le plus concernées par une crise de vocation. A contrario, « quand on est dans une grande ville avec une grosse structure municipale, qu’on a des indemnités à plus de 2.000 euros, c’est beaucoup plus simple. »

Mais le changement du statut de l’élu doit aussi prendre en compte un autre problème, selon Françoise Cartron : celui de la reconversion professionnelle en cas de défaite électorale. En effet, « si on arrête de travailler et qu’on est battu aux élections suivantes, on n’a rien comme accompagnement pour le retour à l’emploi. Quand vous allez quitter votre entreprise, ou même en étant fonctionnaire, on perd son poste et on doit repartir à la case départ. Rien n’est prévu pour anticiper ce problème. » Un cas de figure qui ne s’est, heureusement, jamais présenté à Françoise Cartron.