Portrait de Pascale Luciani-Boyer : conseillère municipale de Saint-Maur-des-Fossés a slalomé pendant vingt ans dans la vie politique locale.

Pascale Luciani-Boyer, conseillère municipale de Saint-Maur-des-Fossés a slalomé pendant vingt ans en politique, entre coups d’éclats et opportunisme lucide, pour ne rien devoir à personne, quitte à y laisser des plumes.

Il aura fallu dix années d’observation à Pascale Luciani-Boyer pour apprendre à faire de la politique. Au conseil municipal de Saint-Maur-des-Fossés, ce jour de 2006, elle, la déléguée à la petite enfance, se lève et adresse un long réquisitoire au maire, sur son inaction au sujet de la garde d’enfants. Elle déroule les éléments du même dossier qu’il avait choisi d’ignorer, devant un public de 150 personnes, avant de rendre son portefeuille. Aussitôt, la séance est suspendue. Elle revoit encore la haie d’honneur qu’on lui a faite. “Pour la première fois, j’ai vraiment eu l’impression de faire de la politique.” Au total, la petite cinquantenaire brune aura passé deux décennies à faire l’apprentissage de l’échiquier politique et gagner son indépendance, quitte à en payer le prix personnel et professionnel.

C’est son père, entraîneur bénévole de natation d’origine corse, qui lui a appris l’endurance en la plongeant de force dans le grand bain, jusqu’au championnat de France. La conseillère municipale se décrit comme une enfant grande gueule, immunisée par ses bonnes notes. Dans les années 80, sa mère, au foyer, se passionne pour la politique locale dans les Hauts-de-Seine. L’ado croise les Devedjian, Sarkozy et Ollier, colle des affiches avec Frédéric Lefebvre. Mobilisée, mais pas transcendée. Après le bac, elle préfère étudier le monde des bactéries en suivant son futur mari à Nancy. Quand Monsieur est muté au Burkina Faso pour deux ans, elle refait ses valises. Là-bas, à 21 ans, elle suit le cursus de la fac à distance, file un coup de main à l’Institut Pasteur, joue à la “patronne d’exploitation” auprès des “boys” et organise les soirées d’expatriés. Rare femme blanche à l’horizon, elle fait aussi l’expérience d’être “l’autre” sous le poids des regards. Une différence qu’elle ressentira à nouveau lors d’une visite au Sénat, affublée d’une veste rose, face à une assistance très masculine.

La politique ou le divorce

La politique viendra plus tard. De retour en France, elle manque de mourir en mettant au monde son deuxième enfant. “Je me demandais pourquoi on m’avait fait revenir ? Pour moi, ce n’était pas normal, cela signifiait que j’avais une mission”, explique-t-elle. Cela tombe bien : sa commune, Saint-Maur-des-Fossés, compte plus de 70.000 habitants, mais aucune crèche. En 1995, on lui fait de la place sur la liste électorale gagnante, après avoir vérifié auprès des Hauts-de-Seine ses références. “Une femme de moins de trente ans, avec deux enfants, qui voulait travailler en politique, c’était étrange, plaisante-t-elle en agitant ses petites mains. Ils voulaient voir si j’étais quelqu’un d’acceptable.”

Pascale apprend à jongler avec sa famille, son poste dans une maison d’édition scientifique et le conseil municipal, où elle se charge des dossiers de la petite enfance. Elle observe que la politique s’apparente à “un jeu d’échecs” où “le but des autres est que vous n’existiez plus” et “les potentiels collaborateurs sont des rivaux”, tant les places sont rares. La sienne à la maison est souvent vide, sans gain d’argent pour compenser. Le sujet devient brûlant au sein du couple. Il faut choisir. “La politique m’a coûté mon mariage”, résume-t-elle.

Donner des coups pour entrer dans la lumière

Lorsqu’elle demande la garde alternée, “la juge ne comprend pas”. Au début des années 2000, la bataille est rude pour les mères actives. Un de ses camarades du conseil municipal lui reproche même de ne pas garder ses enfants elle-même. Bientôt, elle se frotte aux réticences de l’équipe très masculine du maire. “On avait ouvert deux crèches, c’était bien assez bien pour eux.”

On lui propose de l’aider à entrer à Sciences Po et de filer vers un poste de direction dans une entité parapublique dans la santé. “J’ai dit non. Je ne voulais dépendre des faveurs de personne. Mon emploi a été la clé de mon indépendance.” Elle rempile tout de même pour un second mandat sur la liste du même maire. Après avoir observé, elle devient plus féroce et noue des relations à l’extérieur de la commune. Elle alerte le maire sur le manque de moyens pour la sécurité des enfants et la multiplication des crèches. Jusqu’à l’ultimatum : le changement ou sa démission de la délégation. “Ils pensaient tous que je n’en serais pas capable, tout ça pour garder trois francs six sous.” Puis vient le coup de théâtre au conseil municipal où elle plaque le maire en public en lui rendant son portefeuille.

Par-delà Saint-Maur-des-Fossés, où elle conserve, isolée, un siège au conseil municipal, un autre monde s’ouvre à elle. “Je suis vraiment entrée en politique le jour où j’ai donné des coups. j’ai été invitée au Sénat, à l’Assemblée nationale… On m’a regardée différemment, j’existais.”

Un an et demi plus tard, en 2008, nouvelles élections municipales, nouveaux alliés. La frondeuse passe un deal avec le dissident de la droite : lui récupère “l’indépendante rebelle” sur sa liste, et elle, les dossiers importants en cas de victoire. “Cette fois, je ne devais rien à personne, je n’étais plus la gentille fille docile, précise-t-elle. On me savait capable de faire des coups de force et de la politique de pression.” Maire adjointe, elle se détourne de la petite enfance, “là où l’on case toutes les femmes” et se consacre au numérique. Depuis 2001, elle a sa propre entreprise de développement de logiciels d’éducation au numérique, pour laquelle elle emploie une douzaine d’hommes. “Certains collègues masculins pensaient savoir mieux que moi, mais je les ai mouchés un par un par ma compétence professionnelle.” Vice-présidente de la commission numérique de l’AMIF, elle bosse “dix fois mieux que le président”, qu’elle “élimine en un an de temps”. Experte de l’AMF sur ces questions, elle est nommée avec trois autres élus comme représentante des territoires au sein du Conseil national du numérique. ”J’ai pris la lumière.”

Affranchie de la politique

Puis, en 2012, Pascale joue tapis. Elle se présente aux législatives en électron libre face au député-maire, “qui ne va jamais à l’Assemblée”. L’allié devient ennemi. Son indépendance la désavantage. “Être encartée nulle part revient à avoir beaucoup d’amis, mais pas d’alliés.” Elle perd. Nouvel échec aux élections municipales de 2014, où elle conserve toutefois son siège au conseil. On lui retire sa délégation, elle dit au revoir à ses missions à l’AMF. “Maintenant, la politique, ça suffit”, soufflent ses proches. “C’est comme une humiliation sur la scène publique, explique-t-elle. Comme si les gens vous disaient : “Je ne vous aime pas”. Or, on cherche toujours à être aimé, surtout en politique.”

Affranchie, Pascale Luciani-Boyer a retourné sa veste du côté du monde du travail, qui lui a toujours garanti son indépendance. Riche de son expérience politique, elle monte en 2014 un cabinet de conseil en stratégie numérique territoriale. “Un vrai bonheur” pour celle qui est devenue la vice-présidente de l’Est de l’Ile-de-France du Medef, qui ne consacre “plus qu’un tiers de son temps à la politique”. Elle milite pour faire plus de place à la société civile dans les débats politiques en tant que vice-présidente du mouvement Génération Citoyens. Elle se dit désormais vouée à la “transmission”, mais ne dirait pas non à une place dans des institutions spécialisées dans le numérique ou au Sénat. Jamais à l’abri d’un nouveau coup d’éclat.