Le village de Lurcy-Lévis accueille Street Art City, un lieu unique au monde. Les retombées médiatiques et touristiques sont considérables.

Au nord de l’Allier, le village de Lurcy-Lévis est devenu, en moins de deux ans, la capitale du Street Art. Comment une petite commune de 2.000 habitants a-t-elle pu devenir une référence mondiale en la matière ? Petit tour d’horizon avec Gilles Iniesta, l’un des initiateurs de cet étonnant projet.

La reconversion astucieuse d’un ancien site abandonné

Tout commence en 2003 lorsque Gilles et Sylvie Iniesta décident de racheter un grand terrain à Lurcy-Lévy : « C’était l’ancien centre de formation des PTT, inauguré en 1982 et fermé en 1992 puis abandonné. On l’a racheté à France Télécom. Depuis cette année, on cherchait une destination pour l’ensemble des bâtiments, établis sur 10 hectares. C’est 7.000 m² de bâtiments : une véritable micro-ville ».

C’est le 22 janvier 2015 que Sylvie a une révélation et pense à recouvrir les bâtiments de graffitis. Un domaine pour lequel le couple est pourtant néophyte. Gilles s’en souvient : « On a passé la nuit entière à regarder tout ce qui se faisait en matière de graffiti dans le monde. On a été subjugué par cette forme d’expression artistique. Mais on a aussi constaté que c’était toujours des projets éphémères sur des lieux voués à la démolition, comme la tour 13 à Paris. » En effet, « il n’existait pas dans le monde de résidence dédiée au Street Art. C’est la voie qu’on a décidé de prendre. »
Un premier mur a été peint en mai 2015 par des artistes régionaux. L’aventure commence alors…

Un mur recouvert par un street artiste

Lurcy-Lévis, capitale mondiale du Street Art

Street Art City est lancé officiellement le 17 mars 2016. Pour l’occasion, le couple organise un événement solennel : « On a invité tous les élus de la ville, du département, la presse et les chefs d’entreprise pour faire une présentation du projet. » En 2016, 51 artistes de 11 nationalités différentes ont été accueillis et ont participé au projet. Mais l’accès reste encore confidentiel.

Une nouvelle étape commence le 28 avril 2017 : « On a ouvert Street Art City au public. Cette année là, on a accueilli 74 artistes de 22 nationalités différentes. » En 2018, ce ne sont pas moins de 85 artistes qui sont attendus. Mais toutes les demandes ne peuvent être satisfaites, précise Gilles : « On a une liste d’attente de 900 artistes ! » Cet intérêt s’explique par l’originalité de Street Art City, qui en fait un lieu véritablement unique au monde : « On a été qualifié de Villa Médicis des arts urbains, l’an dernier.»

Ce site a l’avantage d’améliorer l’image, parfois négative, du Street Art et de le légitimer aux yeux du public et des institutions : « On participe, d’une certaine façon, à faire prendre conscience à toute une partie de la population que cet art qu’on a longtemps considéré, ou qu’on a voulu considérer comme simplement illégal, pouvait être aussi quelque chose de magnifique. »

Les artistes placés dans « une bulle de confort »

A Street Art City, tout est fait pour que les artistes puissent s’exprimer du mieux qu’ils le peuvent, explique Gilles Iniesta : « Ils sont accueillis en résidence ; ils sont nourris et logés. On leur fournit l’ensemble du matériel dont ils ont besoin : des bombes de peintures, de la peinture liquide, des nacelles élévatrices, etc. J’aime bien dire que l’artiste arrive ici avec ses vêtements et son talent. A partir de là, on le place dans une bulle de confort où il a une seule chose à penser : créer ! » En moyenne, les résidences durent entre une et trois semaines.

Cette mise en valeur à des effets bénéfiques pour les artistes : «  Ils veulent venir à Street Art City parce qu’ils se retrouvent dans les mêmes conditions qu’en ville, avec l’avantage d’être dans un lieu complètement légal, où ils peuvent s’exprimer en toute liberté. »

Un des murs peints

Un projet privé encouragé par les collectivités

En deux ans et demi, Street Art City a considérablement participé à la renommée de Lurcy-Lervis. Mais c’est aussi le cas pour le département et la région, indique Gilles Iniesta : « Notre affluence a beaucoup interpellé le comité départemental du tourisme et le comité régional du tourisme. » Depuis, ces offices les soutiennent et vendent Street Art City auprès des tours-opérateurs. Mais Gilles Iniesta insiste sur un point : le projet reste privé. Il n’est nullement subventionné par une collectivité locale. C’est ce qui lui permet notamment de rester secret sur le nombre de visiteurs du site, afin, entre autres, d’éviter les surinterprétations.

Depuis le début du projet, de nombreuses communes se montrent très intéressées par la réalisation de projets similaires : “On est de plus en plus sollicité par des villes en France qui veulent qu’on leur coordonne des opérations, des réalisations de murs. C’est devenu un outil d’embellissement de nos villes alors qu’il y a quelques années, on considérait que c’était de la dégradation », ironise Gille.

De fortes retombées sur la commune et le département

Le projet n’attire pas seulement que des artistes ; les spectateurs sont au rendez-vous l’assure Gilles Iniesta, et cela s’est fait très rapidement : « En cinq semaines d’ouverture au public l’année dernière, on avait accueilli des habitants de l’ensemble des départements de France. On a eu au moins une personne venant de chaque département. » Il y a également de nombreux touristes étrangers, intéressés par le Street Art qui viennent en France uniquement pour cette exposition unique.

Bien évidemment, cet essor du tourisme a eu des retombées bénéfiques sur l’économie locale : « Cela a profité aux trois établissements hôteliers qui se situent dans un rayon d’une petite trentaine de kilomètres et qui ont annoncé officiellement à l’office de tourisme de l’agglomération de Moulins, avoir fait une progression de 40% de leur fréquentation en juillet et en août et en précisant explicitement que c’était grâce à nous », s’enthousiasme Gilles.

Il y a aussi un fort impact en termes de médiatisation : beaucoup de journaux et de télévisions se sont intéressés à Street Art City, et donc forcément au territoire qui l’entoure : « On a eu TF1, France 2 France 3, D8, etc. On a aussi fait des télés belges, hollandaises, vietnamiennes. C’est très surprenant ! » Un tel succès était inattendu pour Gilles Iniesta : « Si vous m’aviez dit en janvier 2015 jusqu’où Street Art City irait, je vous aurais répondu que vous êtes en train de rêver ! »

Une fresque murale