Crise de la démocratie, désamour envers le politique… Et si la démocratie participative était la solution ? Jo Spiegel nous répond !

Crise du politique, taux d’abstention record, désengagement de la jeunesse : notre démocratie semble aujourd’hui à bout de souffle et le Front National est aux portes du pouvoir. Pour Joseph Spiegel, maire de Kingersheim, une seule solution : prendre d’urgence le virage de la démocratie participative. Rencontre avec l’un de ses plus fervents praticiens.

La démocratie participative : réenchanter la démocratie

Pour Joseph Spiegel, maire de Kingersheim dans le Haut-Rhin et reconnu pour les actions qu’il y mène depuis son élection en 1989, « la démocratie participative, c’est permettre à chaque citoyen de développer son potentiel d’intelligence au service du bien commun et de l’intérêt général. C’est donc une démarche qui revendique de mettre plus de responsabilités dans l’espace public et, de ce fait, plus de sens commun dans ce qui permet le vivre ensemble ».

Cette démocratie participative regrouperait ainsi deux dimensions, « ce que j’appelle la démocratie d’élaboration lorsqu’il s’agit de mieux décider ensemble et la démocratie d’implication lorsqu’il s’agit d’agir ensemble ».

Cette “nouvelle” façon de faire répond à l’enjeu majeur actuel « de réenchanter la démocratie de représentation ». Un besoin justifié par « la progression de l’abstention, le nombre de voix qui se portent vers des partis qui n’ont jamais été en responsabilité et la cour de récréation permanente notamment lors des grands enjeux électoraux ». Une situation qui nécessite selon Joseph Spiegel « un retournement démocratique, c’est-à-dire pratiquer davantage la démocratie dans l’intervalle des élections que pour les élections ».

« Le nouvel âge démocratique va venir des communes »

En filigrane, la démocratie participative, c’est aussi remodeler le rôle de l’élu : « c’est donner au rôle de l’élu une dimension nouvelle. Il est évidemment un décideur au bout du processus décisionnel mais il est d’abord et avant tout un acteur du processus décisionnel. Il a la responsabilité de prendre la décision mais, aujourd’hui, la légitimité d’une décision ne vient plus de qui la prend -même s’il est élu – mais de comment on la prend ».

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En parallèle, le rôle des citoyens va être aussi renforcé, il va devenir un acteur réel de la démocratie : « il faut arrêter de les draguer [sic] au moment des élections puis de les oublier pendant le mandat. Il est temps de prendre les électeurs au sérieux ». Un enjeu qui se retrouve dans la crise de confiance de notre démocratie, marquée par des citoyens lassés voire écoeurés par les “fausses promesses” de leurs représentants.

De nouvelles façons de faire qui doivent convaincre

Si les démarches de démocratie participative ne sont pas en soi particulièrement nouvelles – Joseph Spiegel a lui-même impulsé cette politique depuis 15 ans, elles restent à rebours des façons traditionnelles de faire dans la démocratie représentative. Joseph Spiegel nous explique donc « qu’il faut convaincre deux partenaires : d’une part, les élus du conseil municipal et, d’autres part, les collaborateurs. Ce sont des acteurs décisifs parce que, si les élus et les collaborateurs ne sont pas parties prenantes de partager le pouvoir avec le reste des habitants, alors vous allez droit au mur ».

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Si la perspective de perdre une partie de son pouvoir et de ses prérogatives peut rebuter certains élus, cette évolution est au contraire très positive pour Joseph Spiegel : « l’élu n’a jamais été aussi bien dans son rôle de décision que lorsqu’il fait participer les habitants en amont. Et les collaborateurs n’ont jamais été aussi bien dans leurs rôles que lorsqu’ils ont pu apporter leur expertise. La participation des différentes ressources démocratiques doit au total apporter un plus dans la décision mais doit surtout permettre aux acteurs d’être complètement reconnus dans leurs places originelles et singulières ».

Chercher l’adhésion des citoyens à de telles démarches est aussi primordiale : aujourd’hui « chacun défend son bonnet [sic], l’individualisme, le corporatisme et le communautarisme prend le pas sur l’intérêt général. Si on veut inverser la vapeur, il faut associer les habitants dans ce chemin difficile du processus décisionnel ».

Parmi les actions les plus emblématiques menées à Kingersheim, un lieu « dédié à la pratique démocratique » a été construit en 2006 : une maison de la citoyenneté organisée de telle façon « que le débat puisse être possible dans les meilleures conditions, puisse être partagé par beaucoup d’habitants et puisse s’exprimer dans divers ateliers. C’est surtout le lieu de la décision du conseil municipal, des débats nécessaires au début de chaque séquence démocratique et c’est le lieu de co-construction de chaque conseil participatif ».

But de la maison de la citoyenneté : permettre la conjonction de trois « cultures démocratiques que nous voulons fertiliser » : la culture de l’indignation, l’utopie et la régulation. Selon le maire de Kingersheim, un des défauts de la démocratie d’aujourd’hui serait une trop grande séparation entre spécialistes : «  vous avez les spécialistes de l’utopie qui écrivent de beaux livres mais qui ne s’engagent pas, vous avez les spécialistes de l’indignation qui ne prendront jamais en compte le principe de réalité et enfin vous avez les spécialistes de la décision – les élus et, parmi eux, beaucoup de professionnels – qui ont oublié l’utopie et l’indignation ». Cette maison doit donc permettre la rencontre de ces cultures afin de « construire des compromis dynamiques ».

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Autre initiative, la mise en place des Olympiades de la participation « pour susciter le désir de participation des habitants » et notamment le lancement en 2004 des Etats Généraux permanents de la démocratie : « nous avons décidé ce jour-là que la démocratie est continue, réelle, effective. L’idée de ces Etats Généraux de la démocratie était de permettre aux habitants qui le souhaitent d’être co-propriétaires de la décision pour être co-propriétaires de l’intérêt général ».

Dernier outil « assez merveilleux » : les conseils participatifs. Différents des conseils citoyens qui ne réunissent que des citoyens, ceux-ci sont originaux en ce qu’ils « associent pour tous les projets, de plain-pied, le temps qu’il faut – je parle d’ailleurs de démocratie lente – toutes les ressources démocratiques et en particulier un collège d’habitants – volontaires ou tirés au sort, un collège d’élus – partie prenantes du débat avant d’être décideurs, un collège d’experts sous toutes leurs formes – associatives, entrepreneuriales… et souvent un collège de personnalités extérieures qui permettent une meilleure régulation du débat ».

« Les conseils participatifs résument assez bien la démocratie comme oxygène de la République »

La composition large et hétéroclite de ces conseils est très importante afin de permettre « de fertiliser des points de vue différents et pour construire des compromis dynamiques. Ils ne doivent pas être des lieux d’affrontement et ceux qui sont là en pensant détenir la vérité absolue n’y ont pas leur place : par définition, la démocratie, c’est savoir se mettre en cause au départ ».

Une longue démarche qui a fait ses preuves

Emblématique de la démarche de démocratie participative et de co-construction menée par la mairie de Kingersheim, en pleine période des attentats et des grandes tensions autour de l’islam, une association locale a porté un projet d’amélioration-construction d’un lieu de culte. Alors que la tension était extrême ailleurs en France sur de tels sujets, par le dialogue, l’ouverture et la transparence, les débats ont pu trouver une concrétisation très positive pour tous.

De la même façon, quarante conseils participatifs ont été constitués au cours des dix dernières années et permettent à tous les sujets clés de la vie de la cité d’exister au coeur de l’espace public, dans un endroit que chacun peut s’approprier : « chaque conseil a son objet, un projet, un thème, il n’est pas défini par un territoire, un quartier ». Des projets bien différents ont permis de toucher des publics très divers, faisant intervenir près de 700 intervenants différents depuis le lancement du premier. Ceux-ci « sont à la phase décisive de concertation et de co-construction de débat ce que le conseil municipal est à la phase décisionnaire. Je ne sépare pas les deux phases, les deux sont importantes. Ceux-qui cherchent à opposer démocratie de représentation et démocratie de participation, à mon avis, font erreur ».

Ce lien permanent avec les citoyens est pour Jo Spiegel la clé d’une démocratie qui fonctionne et qui éloigne la tentation du vote pour les extrêmes, dont le Front National.

Quelques conseils pour se lancer

Fort d’une longue expérience et de nombreux succès, Joseph Spiegel est régulièrement sollicité par des collègues élus. Il leur conseille de commencer par expérimenter un conseil participatif : « tentez, sur un projet, une séquence démocratique avec un conseil participatif, ça marche très bien. Une des conditions de réussite, c’est de ne pas donner le sentiment aux habitants que tout est ouvert. Il appartient aux élus de fixer le périmètre de discussion : quel est le périmètre budgétaire, le périmètre réglementaire… ». Un cadre indispensable afin que les débats ne se dispersent pas et pour ne pas créer de frustration.

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Si des élus ne sont pas très rassurés à l’idée de se lancer dans des démarches de démocratie participative, qui rompent avec les façons de faire habituelles, « il faut sortir de la peur. La démocratie de participation, lorsqu’elle est portée par une volonté politique, c’est d’abord une question de technique démocratique. Il faut donc d’abord y aller doucement, considérer la démocratie de participation comme un enjeu de responsabilités partagées donc il faut travailler sur autre chose que des réunions de quartiers qui sont souvent juste un défouloir. Il faut chercher à associer intelligemment ».

« On ne pourra réenchanter la démocratie de représentation que si on a l’audace de la participation démocratique »

Pour le maire de Kingersheim, la démocratie participative est la solution à la crise démocratique que traverse aujourd’hui notre société. « Le vrai sujet, c’est comment réduire le fossé entre représentants et représentés ». Alors que le clivage politique organisé aujourd’hui par les médias s’assimile pour cet élu à « du confort intellectuel », l’enjeu des décennies à venir est au contraire de « générer de l’intelligence collective » en dépassant ces clivages qui lassent bon nombre d’électeurs.